Une vieille femme me recueillit. Elle semblait braque1, car elle avait vu mourir suppliciés son compagnon et ses deux fils, accusés d'avoir fomenté une révolte. En réalité, elle avait à peine les pieds sur notre terre et vivait constamment dans leur compagnie, ayant cultivé à l'extrême le don de communiquer avec les invisibles. Ce n'était pas une Ashanti comme ma mère et Yao, mais une Nago2 de la côte, dont on avait créolisé3 en Man Yaya, le nom de Yetunde. On la craignait. Mais on venait la voir de loin à cause de son pouvoir.
Elle commença par me donner un bain dans lequel flottaient des racines fétides, laissant l'eau ruisseler le long de mes membres. Ensuite elle me fit boire une potion de son cru et me noua autour du cou un collier fait de petites pierres rouges.
– Tu souffriras dans ta vie. Beaucoup. Beaucoup.
Ces paroles qui me plongeaient dans la terreur, elle les prononçait avec calme, presque en souriant.
– Mais tu survivras !
Cela ne me consolait pas ! Néanmoins, une telle autorité se dégageait de la personne voûtée, ridée de Man Yaya que je n'osais protester.
Man Yaya m'apprit les plantes.
Celles qui donnent le sommeil. Celles qui guérissent plaies et ulcères.
Celles qui font avouer les voleurs.
Celles qui calment les épileptiques et les plongent dans un bienheureux repos. Celles qui mettent sur les lèvres des furieux, des désespérés et des suicidaires des paroles d'espoir.
Man Yaya m'apprit à écouter le vent quand il se lève et mesure ses forces au-dessus des cases qu'il se prépare à broyer.
Man Yaya m'apprit la mer. Les montagnes et les mornes4.
Elle m'apprit que tout vit, tout a une âme, un souffle. Que tout doit être respecté. Que l'homme n'est pas un maître parcourant à cheval son royaume.
1. Écervelée, fantasque.
2. Ethnies originaires d'Afrique.
3. Adapté aux mœurs ou, comme ici, à la langue des Créoles.
4. Collines, montagnes.