– On n'allume qu'à six heures, dit la servante vaguement compatissante. On dîne à sept. On met l'électricité en veilleuse à dix. Mais on peut avoir une lampe à soi, vous pensez bien. C'est ce que toutes font. Les surveillantes ferment les yeux. Comme ça on peut travailler plus tard. Le repas est dans le réfectoire. Vous trouverez. C'est le dernier couloir en bas, sous le niveau du jardin.
L'ombre était venue. Le pas de la jeune bonne décroissait dans la maison déserte. Isabelle regarda le lit, étroit et blanc comme un lit d'hôpital. La petite fenêtre prise dans le pan coupé du toit mansardé montrait un ciel éteint et déjà tout cendré. Elle s'en approcha. Des masses brunâtres de forêts montèrent vers elle, et plus bas des lumières inégales : points, rectangles, verrières en feu indiquaient Sèvres, ses villas, sa ville basse, une usine qui flamboyait. Mais beaucoup de masses noirâtres formaient des jardins d'ombre et, tout à fait au bas de la maison, une vaste cour silencieuse s'ourlait1 d'un coteau boisé et noir.
La chambre fut plus sombre encore quand elle se retourna et le silence plus étranger. Elle sortit de sa valise les sandwichs qu'elle n'avait pas touchés, s'interdit de songer à ce qu'elle avait laissé derrière elle. Elle avait faim, d'une faim vite apaisée. Il lui vint la tentation de sortir de cette énorme bâtisse vide, de reprendre un train, d'aller au moins dans un hôtel à Paris. Elle s'étira, but ce qu'il restait de thé dans son thermos. Il était froid, un peu trop sucré. Elle s'interdit encore de penser aux mains qui l'avaient préparé, à rien de ce qui était là-bas, chez elle, au bout de ces lieues, de ces centaines de lieues. Elle appartenait désormais à ce vide, à ce dénuement, à cette chambre misérable. Trop d'orgueil était en elle pour qu'elle voulût revenir sur une de ses décisions.
1. Se bordait.