Citoyens et Citoyennes,
[…]
Comme vous, nous avons été victimes des abus de la force. Dans notre société moderne, comme vous, nous subissons encore la force tyrannique de ceux qui détiennent le pouvoir, à laquelle s'ajoute pour nous la force tyrannique de ceux qui détiennent les droits.
Et tout cela s'abrite sous le couvert de la République ! [...] Une République qui maintiendra les femmes dans une condition d'infériorité, ne pourra pas faire les hommes égaux. Avant que vous, hommes, vous conquériez le droit de vous élever jusqu'à vos
maîtres, il vous est imposé le devoir d'élever vos esclaves, les femmes, jusqu'à vous.
Beaucoup n'ont jamais réfléchi à cela. Aussi bien, si dans cette imposante assemblée, je posais cette question : Êtes-vous partisans de l'égalité humaine ? tous me répondraient : Oui. Car ils entendent en grande majorité, par égalité humaine, l'égalité des hommes entre eux. Mais si je changeais de thème, si, pressant ces deux termes − homme et femme − sous lesquels l'humanité se manifeste, je vous disais : Êtes-vous partisans de l'égalité de l'homme et de la femme ? Beaucoup me répondraient : Non. Alors que parlez-vous d'égalité, vous qui étant vous-mêmes sous le joug, voulez garder des êtres au-dessous de vous ? Que vous plaignez-vous des classes dirigeantes, puisque vous faites, vous dirigés, la même oeuvre à l'égard des femmes que les classes dirigeantes ?
[...] On trouve moyen de faire des recherches scientifiques pour tout. Chaque jour, on découvre aux animaux et aux végétaux des qualités nouvelles. On multiplie les expériences tendant
à lever des bêtes tout l'utile, des plantes tout
le salutaire. Mais jamais encore, on n'a songé à mettre la femme dans une situation identique à celle de l'homme, de façon à ce qu'elle puisse se mesurer avec lui et prouver l'équivalence de ses facultés. On dépense en France des sommes folles pour obtenir certaines qualités, souvent factices, chez des races d'animaux, et jamais on n'a essayé d'expérimenter avec
impartialité la sueur de la femme et de l'homme. Jamais on n'a essayé de prendre un nombre déterminé d'enfants des deux sexes, de les soumettre à la même méthode d'éducation, aux mêmes conditions d'existence. [...]
Vous ne voulez pas faire cette expérience, savez-vous bien que vous nous permettez de croire, à nous femmes, que vous avez moins le doute que la crainte de notre égalité ? En continuant à nous laisser dans une vie
atrophiante, vous imitez, vous hommes civilisés, les barbares possesseurs d'esclaves qui exploitent avec grand profit la prétendue infériorité de leurs semblables.