On a souvent remarqué qu'à partir de la puberté, la jeune fille dans les domaines intellectuels et artistiques perd du terrain. Il y a beaucoup de raisons. Une des plus fréquentes, c'est que l'adolescente ne rencontre pas autour d'elle les encouragements qu'on accorde à ses frères ; bien au contraire ; on veut qu'elle soit aussi une femme et il lui faut cumuler les charges de son travail professionnel avec celles qu'implique sa féminité. La directrice d'une école professionnelle a fait à ce propos les remarques suivantes :
La jeune fille devient tout à coup un être qui gagne sa vie en travaillant. Elle a de nouveaux désirs qui n'ont plus rien à voir avec la famille. Il arrive assez fréquemment qu'elle doive faire un effort assez considérable... Elle rentre la nuit dans sa famille
recrue d'une fatigue colossale et la tête comme farcie de tous les événements du jour... Comment sera-t-elle alors reçue ? La mère l'envoie faire une commission. Il y a aussi à terminer les travaux ménagers laissés en suspens et elle a encore à s'occuper des soins de sa propre garde-robe. Impossible de dégager toutes les pensées intimes qui continuent à la préoccuper. Elle se sent malheureuse, compare sa situation à celle de son frère qui n'a aucun devoir à remplir à la maison et elle se révolte.
Les travaux ménagers ou les corvées
mondaines que la mère n'hésite pas à imposer à l'étudiante, à l'apprentie, achèvent de la surmener. J'ai vu pendant
la guerre des élèves que je préparais
à Sèvres accablées par les tâches familiales qui se surajoutaient à leur travail scolaire : l'une a fait
un mal de Pott, une autre
une méningite. La mère [...] est sourdement hostile à l'affranchissement de sa fille et, plus ou moins délibérément, elle s'applique à la brimer : on respecte l'effort que fait l'adolescent pour devenir un homme et déjà on lui reconnaît une grande liberté. On exige de la jeune fille qu'elle reste à la maison, on surveille ses sorties : on ne l'encourage aucunement à prendre elle-même en main ses amusements, ses plaisirs. Il est rare de voir des femmes organiser seules une longue randonnée, un voyage à pied ou à bicyclette ou s'adonner à un jeu tel que le billard, les boules, etc. [...] Elles pensent que les triomphes éclatants sont réservés aux hommes ; elles n'osent pas viser trop haut. On a vu que se comparant aux garçons, des fillettes de quinze ans déclaraient : « Les garçons sont mieux. » Cette conviction est
débilitante. Elle encourage à la paresse et à la médiocrité.