Triste, pensif, affligé et morne j'étais
À cause de gens qui mentent et qui médisent
À une cour royale où je dînais,
Où plusieurs personnes étaient à table assises ;
Mais je n'avais encore jamais pu tant de grimaces observer
Que chez ceux que l'on voyait ici manger.
En les regardant je fus de joie ravi :
Jamais gens ainsi grimacer je ne vis.
L'un ressemblait à une truie au milieu d'un chemin,
Tant il remuait fort ses lèvres, son groin ;
L'autre faisait de ses dents une scie,
L'autre bougeait le front et les sourcils ;
L'un les dents montrait, l'autre son visage tordait,
L'autre sa barbe balançait,
L'un faisait le veau, l'autre la brebis :
Jamais gens ainsi grimacer je ne vis.
Les observer de près m'émerveillait,
Car en mâchant ils ressemblaient à des diables ;
Pas un n'était à l'autre semblable,
L'un mâchait comme une souris, l'autre mangeait gros ;
Je n'ai jamais eu autant de joie ni autant ri
Qu'en les voyant faire disparaître leurs morceaux.
Alors regardez-les, je vous le jure et vous le dis :
Jamais gens ainsi grimacer je ne vis.
ENVOI
Princes, celui qui est soucieux,
courroucé1
Qu'il regarde les gens à table installés :
Il n'y a pas de meilleur moyen pour oublier sa mélancolie ;
Il sera tout ébahi par les singeries
Que chacun fait ; j'ai moi-même été bien servi :
Jamais gens ainsi grimacer je ne vis.