Un jour, l'ami sensé d'un Abbé peu Chrétien
Le
gourmandait1 ainsi, dans un libre entretien :
« Vous qui n'avez de foi qu'aux plaisirs de ce monde,
Qui raillez de
Beauvais2 la piété profonde,
Qui traînez le scandale en habit de
préla3,
Et diffamez la croix qui fait tout votre éclat ;
Que n'avez-vous choisi sur cette vaste scène
Un rôle plus conforme à votre humeur mondaine ?
Et pourquoi du public affronter les rumeurs
Sous un habit sacré que profanent vos moeurs ? »
« Ami, dit le prélat, c'est par philosophie.
Que Beauvais à son gré prêche et vous
édifie4 ;
Moi, je veux être heureux. Formé pour les plaisirs,
Je voyais la Fortune ingrate à mes désirs.
Ennemi du travail qui nous lie à sa chaîne,
Et vend trop cher les biens qu'il nous donne avec peine,
Fallait-il à mon Prince
immoler5mon repos,
Briguer6 à son service un emploi de héros ;
Ou, sur les
fleurs de lys7, maudire à l'audience
Des avocats criards la menteuse éloquence ;
Ou calculer l'argent que l'État doit payer
En ce qu'il rend au Roi, mais surtout au
fermier8 ?
Non, je voulais
sans soin9, libre et dans l'
indolence10,
Savourer les doux fruits d'une oisive opulence ;
J'enviai du clergé les paisibles trésors,
Et l'intrigue à la Cour dirigeant mes efforts,
J'avançai près des Grands en caressant leurs vices ;
De leurs femmes surtout j'
encensai11 les caprices ;
Flexible à leurs humeurs, je servais nuit et jour
Leurs
brigues12, leurs plaisirs, leur haine et leur amour,
Et bientôt la faveur, couronnant mon attente,
Ceignit13 ce front mondain d'une
mitre14 éclatante.
Ainsi par mes plaisirs tous mes jours sont comptés,
La richesse et le luxe, amants des voluptés,
Préparent mes festins, mes jeux et mes délices.
J'enrichis la beauté qui m'offre ses
prémices15. » […]
Il n'est plus ici-bas de vice ni de crime ;
Tout ce qui plaît est bon ; tout devient légitime.