Cécile Volanges vient de sortir du couvent. Elle est promise par sa mère, Madame de
Volanges, au comte de Gercourt.
Lettre première
Cécile Volanges à Sophie Carnay aux Ursulines de...
Tu vois, ma bonne amie, que je te tiens parole, et que les bonnets et les
pompons ne prennent pas tout mon temps ; il m'en restera toujours pour toi.
J'ai pourtant vu plus de parures dans cette seule journée que dans les quatre ans
que nous avons passés ensemble, et je crois que la superbe
Tanville1 aura plus de
chagrin à ma première visite, où je compte bien la demander, qu'elle n'a cru nous
en faire toutes les fois qu'elle est venue nous voir dans son
in fiocchi2. Maman
m'a consultée sur tout, et elle me traite beaucoup moins en
pensionnaire3 que
par le passé.
J'ai une Femme de chambre à moi ; j'ai une chambre et
un cabinet4
dont je dispose, et je t'écris à un Secrétaire très joli, dont on m'a remis la clef, et
où je peux renfermer tout ce que je veux. Maman m'a dit que je la verrais tous
les jours à son lever ; qu'il suffisait que je fusse coiffée pour
dîner5, parce que
nous serions toujours seules, et qu'alors elle me dirait chaque jour l'heure où
je devrais l'aller joindre l'après-midi. Le reste du temps est à ma disposition, et
j'ai ma harpe, mon dessin, et des livres comme au Couvent ; si ce n'est que la
mère Perpétue n'est pas là pour me gronder, et qu'il ne tiendrait qu'à moi d'être
toujours sans rien faire : mais comme je n'ai pas ma Sophie pour causer ou pour
rire, j'aime autant m'occuper.
[...] Il vient d'arrêter un carrosse à la porte, et Maman me fait dire de passer
chez elle, tout de suite. Si c'était le Monsieur ? Je ne suis pas habillée, la main me
tremble et le coeur me bat. J'ai demandé à la Femme de chambre si elle savait qui
était chez ma mère : « Vraiment, m'a-t-elle dit, c'est M. Ch.***. » Et elle riait !
Oh ! je crois que c'est lui. Je reviendrai sûrement te raconter ce qui se sera passé.
Voilà toujours son nom. Il ne faut pas se faire attendre. Adieu, jusqu'à un petit
moment.
Comme tu vas te moquer de la pauvre Cécile ! Oh ! j'ai été bien honteuse !
Mais tu y aurais été attrapée comme moi. En entrant chez Maman, j'ai vu un
Monsieur en noir, debout auprès d'elle. Je l'ai salué du mieux que j'ai pu, et je
suis restée sans pouvoir bouger de ma place. Tu juges combien je l'examinais !
« Madame, a-t-il dit à ma mère, en me saluant, voilà une charmante Demoiselle,
et je sens mieux que jamais le prix de vos bontés. » À ce propos si positif, il m'a
pris un tremblement, tel que je ne pouvais me soutenir ; j'ai trouvé un fauteuil,
et je m'y suis assise, bien rouge et bien déconcertée. J'y étais à peine, que voilà
cet homme à mes genoux. Ta pauvre Cécile alors a perdu la tête ; j'étais, comme
a dit Maman, tout effarouchée. Je me suis levée en jetant un cri perçant… tiens,
comme ce jour du tonnerre. Maman est partie d'un éclat de rire, en me disant :
« Eh bien ! qu'avez-vous ? Asseyez-vous, donnez votre pied à Monsieur. » En
effet, ma chère amie, le Monsieur était un Cordonnier. Je ne peux te rendre
combien j'ai été honteuse : par bonheur il n'y avait que Maman.
Je crois que, quand je serai mariée, je ne me servirai plus de ce Cordonnier-là. Ce
récit est bien différent de celui que je comptais te faire.
Conviens que nous voilà bien savantes ! Adieu. Il est près de six heures, et ma
Femme de chambre dit qu'il faut que je m'habille. Adieu, ma chère Sophie ; je
t'aime comme si j'étais encore au Couvent.
Paris, ce 3 août 17**.