Au retour, dans l'encombrement des voitures
qui rentraient par le bord du lac, la calèche
dut marcher au pas. Un moment, l'embarras
devint tel, qu'il lui fallut même s'arrêter.
Le soleil se couchait dans un ciel d'octobre,
d'un gris clair, strié à l'horizon de minces nuages.
Un dernier rayon, qui tombait des massifs lointains
de la cascade, enfilait la chaussée, baignant
d'une lumière rousse et pâlie la longue suite des
voitures devenues immobiles. Les lueurs d'or, les
éclairs vifs que jetaient les roues semblaient s'être
fixés le long des
rechampis1 jaune paille de la
calèche, dont les panneaux gros bleu reflétaient
des coins du paysage environnant. […]
– Tiens, dit Maxime, Laure d'Aurigny,
là-bas, dans ce coupé… Vois donc, Renée.
Renée se souleva légèrement, cligna les yeux, avec cette moue exquise que lui
faisait faire la faiblesse de sa vue.
– Je la croyais en fuite, dit-elle… Elle a changé la couleur de ses cheveux,
n'est-ce pas ?
– Oui, reprit Maxime en riant, son nouvel amant déteste le rouge.
Renée, penchée en avant, la main appuyée sur la portière basse de la calèche,
regardait, éveillée du rêve triste qui, depuis une heure, la tenait silencieuse, allongée
au fond de la voiture, comme dans une chaise longue de convalescente.
[…] Elle continuait à cligner les yeux, avec sa mine de garçon impertinent,
son front pur traversé d'une grande ride, sa bouche, dont la lèvre supérieure
avançait, ainsi que celle des enfants boudeurs. Puis, comme elle voyait mal, elle
prit son binocle, un binocle d'homme, à garniture d'écaille, et, le tenant à la
main, sans se le poser sur le nez, elle examina la grosse Laure d'Aurigny tout à
son aise, d'un air parfaitement calme.
Les voitures n'avançaient toujours pas. Au milieu des taches unies, de teinte
sombre, que faisait la longue file des coupés, fort nombreux au Bois par cet aprèsmidi
d'automne, brillaient le coin d'une glace, le mors d'un cheval, la poignée
argentée d'une lanterne, les galons d'un laquais haut placé sur son siège. […] Il
était peu à peu tombé un grand silence sur tout ce tapage éteint, devenu immobile.
On entendait, du fond des voitures, les conversations des piétons. Il y avait
des échanges de regards muets, de portières à portières ; et personne ne causait
plus, dans cette attente que coupaient seuls les craquements des harnais et le coup
de sabot impatient d'un cheval. Au loin, les voix confuses du Bois se mouraient.