Renée est devenue la maîtresse de son beau-fils. En l'absence d'Aristide, ils se
retrouvent dans la serre de l'hôtel Saccard, un des lieux de prédilection de Renée.
La serre aimait, brûlait avec eux. Dans l'air alourdi, dans la clarté blanchâtre
de la lune, ils voyaient le monde étrange des plantes qui les entouraient
se mouvoir confusément, échanger des étreintes. La peau d'ours noir tenait
toute l'
allée1. À leurs pieds, le bassin fumait, plein d'un grouillement, d'un
entrelacement épais de racines, tandis que l'étoile rose des Nymphéa s'ouvrait,
à fleur d'eau, comme un corsage de vierge, et que les Tornélia laissaient pendre
leurs broussailles, pareilles à des chevelures de Néréides pâmées. Puis, autour
d'eux, les Palmiers, les grands Bambous de l'Inde se haussaient, allaient dans le
cintre, où ils se penchaient et mêlaient leurs feuilles avec des attitudes chancelantes
d'amants lassés. Plus bas, les Fougères, les Ptérides, les Alsophila, étaient
comme des dames vertes, avec leurs larges jupes garnies de volants réguliers,
qui, muettes et immobiles aux bords de l'allée, attendaient l'amour. À côté
d'elle, les feuilles torses, tachées de rouge, les Bégonia, et les feuilles blanches,
en fer de lance, des Caladium, mettaient une suite vague de meurtrissures et
de pâleurs, que les amants ne s'expliquaient pas, et où ils retrouvaient parfois
des rondeurs de hanches et de genoux, vautrés à terre, sous la brutalité de
caresses sanglantes. Et les Bananiers, pliant sous les grappes de leurs fruits,
leur parlaient des fertilités grasses du sol, pendant que les Euphorbes d'Abyssinie,
dont ils entrevoyaient dans l'ombre les cierges épineux, contrefaits, pleins
de bosses honteuses, leur semblaient suer la sève, le flux débordant de cette
génération de flamme.
Mais, à mesure que leurs regards s'enfonçaient dans les
coins de la serre, l'obscurité s'emplissait d'une débauche de feuilles et de tiges
plus furieuse ; ils ne distinguaient plus, sur les gradins, les Marenta douces
comme du velours, les Gloxinia aux cloches violettes, les Dracéna semblables
à des lames de vieille laque vernie ; c'était une ronde d'herbes vivantes qui se
poursuivait d'une tendresse inassouvie
. Aux quatre angles, à l'endroit où des
rideaux de lianes ménageaient des berceaux, leur rêve charnel s'affolait encore,
et les jets souples des Vanilles, des Coques du Levant, des Quisqualus, des
Bauhinia, étaient les bras interminables d'amoureux qu'on ne voyait pas, et
qui allongeaient éperdument leur étreinte, pour amener à eux toutes les joies
éparses. Ces bras sans fin pendaient de lassitude, se nouaient dans un spasme
d'amour, se cherchaient, s'enroulaient, comme pour le
rut2 d'une foule. C'était
le rut immense de la serre, de ce coin de forêt vierge où flambaient les verdures
et les floraisons des tropiques.
Maxime et Renée, les sens faussés, se sentaient emportés dans ces noces
puissantes de la terre. Le sol, à travers la peau d'ours, leur brûlait le dos, et, des
hautes palmes, tombaient sur eux des gouttes de chaleur. La sève qui montait
aux flancs des arbres les pénétrait, eux aussi, leur donnait des désirs fous de
croissance immédiate, de reproduction gigantesque. Ils entraient dans le rut
de la serre. C'était alors, au milieu de la lueur pâle, que des visions les hébétaient,
des cauchemars dans lesquels ils assistaient longuement aux amours des Palmiers et des Fougères ; les feuillages prenaient des apparences confuses
et équivoques, que leurs désirs fixaient en images sensuelles : des murmures,
des chuchotements leur venaient des massifs, voix pâmées, soupirs d'extase, cris
étouffés de douleur, rires lointains, tout ce que leurs propres baisers avaient de
bavard, et que l'écho leur renvoyait. Parfois ils se croyaient secoués par un tremblement
du sol, comme si la terre elle-même, dans une crise d'assouvissement,
eût éclaté en sanglots voluptueux.