Dans la Somme, alors là nous avions beaucoup de boue. Quand il pleuvait, c'était de la boue, c'était un terrain gras. Sur les routes, on croisait les convois, avec les chevaux – parce que ce n'étaient pas les autos encore à ce moment‑là, c'étaient les chevaux – eh bien ! On passait là à côté, on avait vingt centimètres de boue. Et dans les tranchées, eh bien ! Tu étais dans la boue, il n'y avait pas à discuter. Dans une compagnie, ils avaient coupé les capotes. Tellement qu'ils avaient de la boue, c'était lourd, ils ne pouvaient plus marcher ! Parce que les molletières – on avait des molletières qui étaient autour des jambes – eh bien ! C'était de la boue ; du genou en bas, c'était pareil ! Pareil ! Et voilà ! On était là, on attendait, on prenait patience ! […]
Je vis arriver, venant des lignes, trois habitants des tranchées. Je les regardais avec effroi ; ils étaient couverts de boue de la pointe de leurs souliers à la calotte de leur képi, comme s'ils venaient de traverser un lac de vase. Leurs mains, leur visage, moustaches, cils, cheveux étaient également couverts de boue visqueuse. Parfois l'un glissait, tombait et ne pouvait plus se relever. Il fallait lui porter secours, écrasé sous le poids de sa charge, englué dans la boue. Et perdant notre dignité, notre conscience humaine, nous n'étions plus que des bêtes de somme, avec comme elles, leur passivité, leur indifférence, leur hébétude.