En 1963, Howard Becker publie Outsiders, un des premiers ouvrages de sociologie de la déviance : la norme, selon lui, n'existe pas en soi ; elle est toujours construite socialement. Un individu est déviant parce qu'il est perçu comme tel par la société : il est « étiqueté » déviant (théorie de l'étiquetage ou labelling). La déviance n'a donc de sens qu'au regard d'une norme socialement construite, qui aurait pu être autre.
Ces normes découlent de valeurs. Mais celles‑ci sont abstraites et ne peuvent pas être directement traduites sous forme de règles : c'est l'interprétation de ces valeurs par un groupe d'individus qui donne corps à la norme, qui la crée. Becker étudie ces individus qui œuvrent à imposer leur interprétation des comportements : il les désigne comme des « entrepreneurs de morale » […]. Cette normalisation est un processus complexe, jalonné par plusieurs étapes : une fois qu'est définie la norme à imposer, les entrepreneurs de morale cherchent à faire reconnaître leur action comme légitime. Pour cela, ils peuvent participer à l'élaboration de lois, ou tenter d'attirer l'attention des médias sur ce qu'ils considèrent comme un « problème social ».
Becker développe ainsi l'exemple de la loi condamnant la marijuana aux États‑Unis. En 1933, avec la fin de la prohibition, le Federal Bureau of Narcotics, qui faisait respecter la loi sur l'interdiction de l'alcool, se retrouve sans activité, et donc menacé. Il se lance alors dans la dénonciation de la marijuana, mobilise les médias et l'opinion publique sur les dangers de cette drogue. En deux ans, dix‑sept articles de presse dénoncent l'usage de la drogue et ses effets nocifs ; dix reconnaissent explicitement avoir reçu l'aide du Federal Bureau of Narcotics. Progressivement, le fumeur de marijuana se voit étiqueté par la société. En 1937, sous l'impulsion du Federal Bureau of Narcotics, une loi interdit la consommation de marijuana.