Les choses naturelles ne sont qu'immédiatement et pour ainsi dire en un seul
exemplaire, mais l'homme, en tant qu'esprit, se redouble, car d'abord il est au
même titre que les choses naturelles sont, mais ensuite, et tout aussi bien, il est
pour soi, se contemple, se représente lui-même, pense et n'est esprit que par cet
être‑pour‑soi actif.a
L'homme obtient cette conscience de soi-même de deux manières différentes :
premièrement de manière théorique, dans la mesure où il est nécessairement
amené à se rendre intérieurement conscient à lui-mêmeb, où il lui faut contempler
et se représenter ce qui s'agite dans la poitrine humaine, ce qui s'active en elle et
la travaille souterrainement, se contempler et se représenter lui‑même de façon
générale, fixer à son usage ce que la pensée trouve comme étant l'essencec, et ne
connaître, tant dans ce qu'il a suscité à partir de soi-même que dans ce qu'il a reçu
du dehors, que soi‑même.
Deuxièmement, l'homme devient pour soi par son activité pratique, dès lors
qu'il est instinctivement porté à se produire lui-même au jour tout comme à se
reconnaître lui-même dans ce qui lui est donné immédiatement et s'offre à lui
extérieurement.d Il accomplit cette fin en transformant les choses extérieures, auxquelles
il appose le sceau de son intériorité et dans lesquelles il retrouve dès lors
ses propres déterminations. L'homme agit ainsi pour enlever, en tant que sujet
libre, son âpre étrangeté au monde extérieur et ne jouir dans la figure des choses
que d'une réalité extérieure de soi‑même. La première pulsion de l'enfant porte
déjà en elle cette transformation pratique des choses extérieures ; le petit garçon
qui jette des cailloux dans la rivière et regarde les ronds formés à la surface de l'eau
admire en eux une oeuvre, qui lui donne à voir ce qui est sien.
Ce besoin passe par les manifestations les plus variées et les figures les plus
diverses avant d'aboutir à ce mode de production de soi‑même dans les choses
extérieures tel qu'il se manifeste dans l'œuvre d'art. Or l'homme ne procède pas
seulement ainsi avec les objets extérieurs, mais tout autant avec lui‑même, avec
sa propre figure naturelle qu'il ne laisse pas subsister en l'état, mais qu'il modifie
intentionnellement. C'est là qu'ont leur origine tous les fards et autres ornements
corporels.