Quand il y avait de l'ouvrage pour un, ils se présentaient à dix - dix hommes se battaient à coups de salaires réduits.
- Si ce gars-là travaille pour 30 cents [de l'heure], moi je marche à 25.
- Il accepte 25 ? Je le fais pour 20.
- Attendez... c'est que j'ai faim, moi. Je travaille pour 15 cents. Je travaille pour la nourriture. [...] Prenez moi, je travaillerai pour un morceau de viande.
Bonne affaire. Les salaires baissaient et les cours se maintenaient. Les grands propriétaires se frottaient les mains et envoyaient de nouveaux paquets de prospectus pour faire venir encore plus de monde. [...]
Les petits fermiers qui n'avaient pas de fabriques de conserves perdaient leurs fermes au profit des grands propriétaires, des Banques et des Sociétés propriétaires
de fabriques. Les petites fermes se raréfiaient de plus en plus. Les petits fermiers allaient habiter en ville, le temps d'épuiser leur crédit et de devenir une charge pour leurs amis ou leurs parents ; et finalement ils échouaient eux aussi sur la grand‑route, où ils venaient grossir le nombre des assoiffés de travail, des forcenés prêts à tuer pour du travail. [...] Et les Sociétés et les Banques travaillaient inconsciemment à leur propre perte. Les vergers regorgeaient de fruits et les routes étaient pleines d'affamés. [...] Les grandes Compagnies ne savaient pas que le fil est mince qui sépare la faim de la colère. Au lieu d'augmenter les salaires, elles employaient l'argent à faire l'acquisition de grenades à gaz, de revolvers, à embaucher des surveillants et des marchands, à faire établir des listes noires, à entraîner leurs troupes improvisées. Sur les grands-routes, les gens erraient comme des fourmis à la recherche de travail, de pain. Et la colère fermentait.