Comment le gouvernement de l'État pourrait‑il être semblable à celui de la
famille dont le fondement est si différent ? [Le] pouvoir paternel passe avec raison
pour être établi par la nature. Dans la grande famille dont tous les membres sont
naturellement égaux, l'autorité politique purement arbitraire quant à son institution,
ne peut être fondée que sur les conventions […]. Les devoirs du père lui sont dictés
par des sentiments naturels, et d'un ton qui lui permet rarement de désobéir. Les
chefs n'ont point de semblable règle, et ne sont réellement tenus envers le peuple qu'à
ce qu'ils lui ont promis de faire, et dont il est en droit d'exiger l'exécution. Une autre
différence plus importante encore, c'est que les enfants n'ayant rien que ce qu'ils
reçoivent du père, il est évident que tous les droits de propriété lui appartiennent,
ou émanent de lui. C'est tout le contraire dans la grande famille, où l'administration
générale n'est établie que pour assurer la propriété particulière qui lui est antérieurea.
Le principal objet des travaux de toute la maison, est de conserver et d'accroître
le patrimoine du père, afin qu'il puisse un jour le partager entre ses enfants sans
les appauvrir : au lieu que la richesse du fisc n'est qu'un moyen, souvent fort mal
entendu, pour maintenir les particuliers dans la paix et dans l'abondance. En un mot
la petite famille est destinée à s'éteindre, et à se résoudre un jour en plusieurs autres
familles semblables : mais la grande [est] faite pour durer toujours dans le même état.
L'une des missions de l'État est de garantir la propriété des individus qui le composent, mais il n'est pas lui‑même propriétaire.