Dans l'État, la liberté devient objective et se réalise positivement1. Cela ne signifie nullement que la volonté générale soit un moyen que la volonté subjective des particuliers utilise pour parvenir à ses fins et à la jouissance d'elle‑mêmea. Ce qui constitue l'État n'est pas une forme de vie en commun dans laquelle la liberté de tous les individus doit être limitée. On s'imagine que la Société est une juxtaposition d'individus et qu'en limitant leur liberté les individus font de sorte que cette limitation commune et cette gêne réciproque laissent à chacun une petite place où il peut se livrer à luimême. C'est là une conception purement négative de la liberté. Bien au contraire, le droit, l'ordre éthique, l'État constituent la seule réalité positive et la seule satisfaction de la liberté. La seule liberté qui se trouve réellement brimée est l'arbitraire, qui ne concerne d'ailleurs que la particularité des besoins. […] C'est seulement dans l'État que l'homme a une existence conforme à la Raisonb. Le but de toute éducation est que l'individu cesse d'être quelque chose de purement subjectif et qu'il s'objective dans l'État. L'individu peut certes utiliser l'État comme un moyen pour parvenir à ceci ou à cela. Mais le Vrai exige que chacun veuille la chose même (die Sache selbst) et élimine ce qui est inessentiel. Tout ce que l'homme est, il le doit à l'État : c'est là que réside son être. Toute sa valeur, toute sa réalité spirituelle, il ne les a que par l'État. […]
La liberté n'est pas un état naturel et immédiat, elle doit plutôt être acquise ou conquise par la médiation de l'éducation du savoir et du vouloirc. L'état de nature est plutôt l'état de l'injustice, de la violence, de l'instinct naturel déchaîné, des actions et des sentiments inhumains. La société et l'État imposent assurément des bornes, mais ce qu'ils limitent, ce sont ces sentiments amorphes, ces instincts bruts et plus tard les opinions et les besoins, les caprices et les passions que crée la civilisationd […] Ainsi on confond la liberté avec les instincts, les désirs, les passions, le caprice et l'arbitraire des individus particuliers et l'on tient leur limitation pour une limitation de la liberté. Bien au contraire, cette limitation est la condition même de la délivrance : l'État et la société sont précisément les conditions dans lesquelles la liberté se réalisee […]. L'individu se soumet aux lois, et sait qu'il trouve sa liberté dans cette soumission. C'est son propre vouloir qu'il retrouve dans ces lois. Il s'agit donc ici d'une unité voulue et consciente d'ellemême. L'indépendance des individus est donc réelle dans l'État car les individus agissent en connaissance de cause, c'est-à-dire opposent leur Moi à l'universel.
a. La volonté subjective est celle de l'individu, considérée dans sa particularité et sa différence par rapport à tous les autres. La volonté générale vise le bien public ou l'intérêt commun.
b. La raison est la faculté de se représenter des finalités dont la valeur est objective. Ces finalités valent en elles‑mêmes et pas seulement pour certains.
c. Une conception négative de la liberté définit celle‑ci comme le fait, pour chacun, de ne pas être empêché d'agir selon sa volonté subjective.
d. La société et l'État détruisent progressivement ce qui limite la liberté : instincts, pulsions, caprices.
e. Loin d'être l'ennemi de l'individu, l'État est le milieu dans lequel il accomplit ce qui donne sa valeur à l'existence humaine.
La réalisation positive désigne une capacité consciente à agir pour le bien commun.