Les gouvernants voudraient faire admettre la maxime qu'eux seuls sont susceptibles de voir juste en politique, et que par conséquent il n'appartient qu'à eux d'avoir une opinion à ce sujet. Ils ont bien leurs raisons pour parler ainsi, et les gouvernés ont aussi les leurs, qui sont précisément les mêmes, pour refuser d'admettre ce principe, qui, effectivement considéré en lui‑même, et sans aucun
préjugé, soit de gouvernant, soit de gouverné, est tout à fait absurdea. Car les gouvernants sont, au contraire, par leur position, même en les supposant honnêtes, les plus incapables d'avoir une opinion juste et élevée sur la politique générale ; puisque plus on est enfoncé dans la pratique, moins on doit voir juste sur la théorie. Une condition capitale pour un publiciste1 qui veut se faire des idées politiques larges, est de s'abstenir rigoureusement de tout emploi ou fonction publique : comment pourrait‑il être à la fois acteur et spectateur ?
La raison des gouvernants est qu'ils ont l'expérience du métier de politicien ; et la raison du peuple est qu'il a la connaissance des conséquences des décisions politiques sur le terrain. Ils ont donc la même raison : ils s'estiment les seuls compétents.