La France a été parmi les premiers pays du monde à
abolir l'esclavage, ce crime qui déshonore encore l'humanité.
Il se trouve que la France aura été, en dépit de tant
d'efforts courageux l'un des derniers pays, presque le
dernier – et je baisse la voix pour le dire – en Europe
occidentale, dont elle a été si souvent le foyer et le pôle,
à abolir la peine de mort. […]
Je suis convaincu, pour ma part, que, si le gouvernement
de la Libération n'a pas posé la question de l'abolition,
c'est parce que les temps troublés, les crimes de
la guerre, les épreuves terribles de l'occupation faisaient
que les sensibilités n'étaient pas à cet égard prêtes. Il
fallait que reviennent non seulement la paix des armes
mais aussi la paix des cœurs.
Cette analyse vaut aussi pour les temps de la décolonisation.
C'est seulement après ces épreuves historiques qu'en
vérité pouvait être soumise à votre assemblée la grande
question de l'abolition. […]
En vérité, la question de la peine de mort est simple
pour qui veut l'analyser avec lucidité. Elle ne se pose
pas en termes de dissuasion, ni même de technique
répressive, mais en termes de choix politique ou de
choix moral.
Je l'ai déjà dit, mais je le répète volontiers au regard
du grand silence antérieur : le seul résultat auquel
ont conduit toutes les
recherches menées par
les criminologues est la
constatation de l'absence
de lien entre la peine de
mort et l'évolution de la
criminalité sanglante. […]
En fait, ceux qui croient
à la valeur dissuasive de la
peine de mort méconnaissent
la vérité humaine.
La passion criminelle n'est
pas plus arrêtée par la peur
de la mort que d'autres
passions ne le sont qui,
celles‑là, sont nobles.
Et si la peur de la mort arrêtait les hommes, vous
n'auriez ni grands soldats, ni grands sportifs. Nous
les admirons, mais ils n'hésitent pas devant la mort.
D'autres, emportés par d'autres passions, n'hésitent pas
non plus. C'est seulement pour la peine de mort qu'on
invente l'idée que la peur de la mort retient l'homme
dans ses passions extrêmes. Ce n'est pas exact.
Partout, dans le monde, et sans aucune exception,
où triomphent la dictature et le mépris des droits de
l'homme, partout vous y trouvez inscrite, en caractères
sanglants, la peine de mort.