Bahman a eu peur : il a été immédiatement transformé en pierre. Perviz connaît le même sort. Parizade décide de partir à son tour. Elle rencontre le derviche, qui la met en garde de la même manière qu'il l'avait fait pour ses frères.
« J'avoue que ces voix, telles que vous me les représentez, sont capables d'épouvanter les plus assurés ; mais comme dans toutes les entreprises de grande conséquence et périlleuses1, il n'est pas défendu d'user d'adresse2, je vous demande si l'on pourrait s'en servir dans celle-ci, qui m'est d'une si grande importance. »
– Et de quelle adresse voudriez-vous user ? demanda le derviche.
– Il me semble, répondit la princesse, qu'en me bouchant les oreilles avec du coton, si fortes et si effroyables que les voix puissent être, elles en seraient frappées avec beaucoup moins d'impression ; comme aussi elles feraient moins d'effet sur mon imagination, mon esprit demeurerait dans la liberté de ne pas se troubler jusqu'à perdre l'usage de la raison.
– Madame, reprit le derviche, de tous ceux qui jusqu'à présent se sont adressés à moi pour s'informer du chemin que vous me demandez, je ne sais si quelqu'un s'est servi de l'adresse que vous me proposez. Ce que je sais, c'est que pas un ne me l'a proposée, et que tous y ont péri3. » [...]
La princesse Parizade, après avoir remercié le derviche et pris congé de lui, remonta à cheval ; elle jeta la boule, et elle la suivit par le chemin qu'elle prit en roulant : la boule continua son roulement et enfin, elle s'arrêta au pied de la montagne. La princesse mit pied à terre ; elle se boucha les oreilles de coton et après qu'elle eut bien considéré le chemin qu'elle avait à tenir pour arriver en haut de la montagne, elle commença à monter d'un pas égal avec intrépidité4. Elle entendit les voix, et elle s'aperçut d'abord que le coton lui était d'un grand secours. Plus elle avançait, plus les voix devenaient fortes et se multipliaient, mais non pas au point de lui faire une impression capable de la troubler. Elle entendit plusieurs sortes d'injures et de railleries piquantes par rapport à son sexe5, qu'elle méprisa et dont elle ne fit que rire.
« Je ne m'offense ni de vos injures, ni de vos railleries, disait-elle en elle-même. Dites encore pire, je m'en moque, et vous ne m'empêcherez pas de continuer mon chemin. »
[Parizade ne se laisse pas impressionner, parvient en haut de la montagne et trouve l'oiseau qui parle, l'arbre qui chante et l'eau jaune. La jeune femme demande alors à l'oiseau le moyen de délivrer ses frères.]
« Jetez les yeux ici à l'entour, ajouta-t-il, et voyez si vous n'y voyez pas une cruche.
– Je l'aperçois, dit la princesse.
– Prenez-la, dit-il ; et en descendant la montagne, versez un peu de l'eau dont elle est pleine sur chaque pierre noire, ce sera le moyen de retrouver vos deux frères. »
La princesse Parizade prit la cruche, et en emportant avec soi la cage avec l'oiseau, le flacon et la branche, à mesure qu'elle descendait, elle versait de l'eau de la cruche sur chaque pierre noire qu'elle rencontrait, et chacune se changeait en homme. [...] De la sorte, elle reconnut les princes Bahman et Perviz, qui la reconnurent aussi, et qui vinrent l'embrasser.
1. Importantes et dangereuses.
2. De se servir de la ruse.
3. Tous sont morts.
4. Courage.
5. Au fait qu'elle soit une femme.