Enrichis par les précieuses dépouilles du Pérou, nous
devrions au moins regarder les habitants de cette partie du
monde, comme un peuple magnifique ; et le sentiment
du respect ne s'éloigne guère de l'idée de la magnificence.
Mais toujours prévenus1 en notre faveur, nous n'accordons
du mérite aux autres nations, qu'autant que leurs
mœurs imitent les nôtres, que leur langue se rapproche de
notre idiome2. Comment peut‑on être Persan ?3
Nous méprisons les Indiens ; à peine accordons‑nous
une âme pensante à ces peuples malheureux, cependant
leur histoire est entre les mains de tout le monde ; nous y
trouvons partout des monuments de la sagacité4 de leur
esprit, et de la solidité de leur philosophie.[...]
Avec tant de lumières5 répandues sur le caractère de ces peuples, il semble
que l'on ne devrait pas craindre de voir passer pour une fiction des lettres originales,
qui ne font que développer ce que nous connaissons déjà de l'esprit vif et
naturel des Indiens ; mais le préjugé a‑t‑il des yeux ? Rien ne rassure contre son
jugement, et l'on se serait bien gardé d'y soumettre cet ouvrage, si son empire6
était sans borne.
Il semble inutile d'avertir que les premières lettres de Zilia ont été traduites
par elle‑même : on devinera aisément, qu'étant composées dans une langue, et
tracées d'une manière qui nous sont également inconnues, le recueil n'en serait
pas parvenu jusqu'à nous, si la même main ne les eût écrites dans notre langue.
Nous devons cette traduction au loisir de Zilia dans sa retraite. La complaisance
qu'elle a eu de les communiquer au Chevalier Déterville, et la permission
qu'il obtint enfin de les garder, les a fait passer jusqu'à nous.
On connaîtra facilement, aux fautes de grammaire et aux négligences du
style, combien on a été scrupuleux de ne rien dérober à l'esprit d'ingénuité7 qui
règne dans cet ouvrage. On s'est contenté de supprimer (surtout dans les premières
lettres) un nombre de termes et de comparaisons orientales8, qui étaient
échappées à Zilia, quoiqu'elle sût la langue française lorsqu'elle les traduisait ;
on n'en a laissé que ce qu'il en fallait pour faire sentir combien il était nécessaire
d'en retrancher.
On a cru aussi pouvoir donner une tournure plus intelligible à certains traits
métaphysiques, qui auraient pu paraître obscurs, mais sans rien changer au fond
de la pensée. C'est la seule part que l'on ait à ce singulier ouvrage.
de Montesquieu (1721) qui montre l'étonnement mêlé de rejet des Français(es) devant les Persans.
Ici : étrangères à la langue française.