OCCUPATION 3. Ô RAGE ! Ô DÉSESPOIR !
LE VIEIL ACTEUR, L'IMMACULÉE, LA TIMIDE
Sur la scène du Grand Théâtre, un très vieil acteur aux cheveux blancs très longs sort
de l'obscurité. Il porte un costume « de théâtre ».
LE VIEIL ACTEUR. –
Ô rage ! Ô désespoir ! Ô vieillesse ennemie !1
N'ai‑je donc tant vécu que pour cette infamie ?
Et ne suis‑je blanchi dans les travaux guerriers
Que pour voir en un jour flétrir tant de lauriers ?
Une voix enthousiaste surgit des coulisses.
L'IMMACULÉE (
off 2). – Maintenant ! Le pompon ! Le saint des saints !
La scène !
LE VIEIL ACTEUR. – Mon bras, qu'avec respect toute l'Espagne admire,
L'IMMACULÉE (
off). –
Vous êtes‑vous déjà trouvée sur une scène ?
LE VIEIL ACTEUR. – Mon bras, qui tant de fois a sauvé cet empire,
L'IMMACULÉE (
off). – Parce que là,
l'huile de coude3, il en faut !
LE VIEIL ACTEUR. – Tant de fois affermi le trône de son roi,
L'IMMACULÉE (
off). – L'huile de coude ne doit pas faire défaut !
LE VIEIL ACTEUR. – Trahit donc ma querelle et ne fait rien pour moi ?
L'Immaculée et la timide poussant un chariot d'ustensiles de nettoyage entrent sur
scène.
L'IMMACULÉE. – Vous en avez de l'huile ?
LA TIMIDE. – Oui oui.
L'IMMACULÉE. – À la bonne heure !
LE VIEIL ACTEUR. – Que faites‑vous ?
L'IMMACULÉE. – Le ménage.
LE VIEIL ACTEUR. – Ce n'est pas l'heure !
L'IMMACULÉE. – Juste un essai.
LE VIEIL ACTEUR. – Essai ?
L'IMMACULÉE. – Ce sont ses premiers pas…
LE VIEIL ACTEUR. – Mais nous jouons !
L'IMMACULÉE. – Eh bien ! Nous, nous ne jouons pas, nous travaillons.
LE VIEIL ACTEUR. – Jouer, madame, est mon métier.
L'IMMACULÉE. – Jouez, monsieur ! Jouez ! Laissez‑nous travailler !
LE VIEIL ACTEUR. – Êtes‑vous aveuglée ? Regardez ces gens‑là !
L'IMMACULÉE. – C'est qui, ça ?
LE VIEIL ACTEUR. – Le public !
L'IMMACULÉE. – Bah, s'ils restent en bas, ils ne dérangent pas.
LE VIEIL ACTEUR. – Nous jouons du Corneille !
L'IMMACULÉE. – Ne
baillez4 pas, vous ! Zou ! Ouvrez grand votre oreille !