MARC.– Cher ?
SERGE. – Deux cent mille.
MARC. – Deux cent mille ?...
SERGE. – [...] Alors ?
MARC. – …
SERGE. – Tu n'es pas bien là. Regarde‑le d'ici. Tu aperçois
les lignes ?
MARC. – Comment s'appelle le…
SERGE. – Peintre. Antrios.
MARC. – Connu ?
SERGE. – Très. Très !
Un temps.
MARC. – Serge, tu n'as pas acheté ce tableau deux cent mille
francs ?
SERGE. – Mais mon vieux, c'est le prix. C'est un ANTRIOS !
MARC. – Tu n'as pas acheté ce tableau deux cent mille francs !
SERGE. – J'étais sûr que tu passerais à côté.
MARC. – Tu as acheté cette merde deux cent mille francs ?!
*
Serge, comme seul.
SERGE. – Mon ami Marc, qui est un garçon intelligent, garçon que j'estime
depuis longtemps, belle situation, ingénieur dans l'aéronautique, fait partie de
ces intellectuels, nouveaux, qui, non contents d'être ennemis de la modernité
en tirent une vanité incompréhensible. Il y a depuis peu, chez l'adepte du bon
vieux temps, une arrogance vraiment stupéfiante.
*
Les mêmes. Même endroit. Même tableau.
SERGE (
après un temps). – Comment peux‑tu dire « cette merde » ?
MARC. – Serge, un peu d'humour ! Ris !… Ris, vieux, c'est prodigieux que tu
aies acheté ce tableau !
Marc rit.
Serge reste de marbre.
SERGE. – Que tu trouves cet achat prodigieux tant mieux, que ça te fasse rire,
bon, mais je voudrais savoir ce que tu entends par « cette merde ».
MARC. – Tu te fous de moi !
SERGE. – Pas du tout. « Cette merde » par rapport à quoi ? Quand on dit telle
chose est une merde, c'est qu'on a un critère de valeur pour estimer cette chose.
MARC.– À qui tu parles ? À qui tu parles en ce moment ? Hou hou !…
SERGE. – Tu ne t'intéresses pas à la peinture contemporaine, tu ne t'y es jamais
intéressé.
Tu n'as aucune connaissance dans ce domaine, donc comment peux‑tu
affirmer que tel objet, obéissant à des lois que tu ignores, est une merde ?
MARC. – C'est une merde. Excuse‑moi.