Dantès faisait le plan de l'île à Faria, et Faria donnait des conseils à Dantès
sur les moyens à employer pour retrouver le trésor.
Mais Dantès était loin d'être aussi enthousiaste et surtout aussi confiant
que le vieillard. Certes, il était bien certain maintenant que Faria n'était
pas fou, et la façon dont il était arrivé à la découverte qui avait fait croire
à sa folie redoublait encore son admiration pour lui ; mais aussi il ne
pouvait croire que ce dépôt1, en supposant qu'il eût existé, existât encore, et, quand il ne regardait pas le trésor comme chimérique2, il le regardait du moins comme absent.
Cependant, comme si le destin eût voulu ôter aux prisonniers leur dernière
espérance et leur faire comprendre qu'ils étaient condamnés à une prison
perpétuelle3, un nouveau malheur les atteignit : la galerie du bord de la
mer, qui depuis longtemps menaçait ruine, avait été reconstruite ; on avait réparé les assises4 et bouché avec d'énormes quartiers de roc le trou déjà
à demi comblé par Dantès. Sans cette précaution, qui avait été suggérée,
on se le rappelle, au jeune homme par l'abbé, leur malheur était bien plus
grand encore, car on découvrait leur tentative d'évasion, et on les séparait
indubitablement : une nouvelle porte, plus forte, plus inexorable que les
autres, s'était donc encore refermée sur eux.
« Vous voyez bien, disait le jeune homme avec une douce tristesse à Faria,
que Dieu veut m'ôter jusqu'au mérite de ce que vous appelez mon dévouement
pour vous. Je vous ai promis de rester éternellement avec vous, et je
ne suis plus libre maintenant de ne pas tenir ma promesse ; je n'aurai pas
plus le trésor que vous, et nous ne sortirons d'ici ni l'un ni l'autre. Au reste, mon véritable trésor, voyez‑vous, mon ami, n'est pas celui qui m'attendait sous les sombres murailles de Monte‑Cristo, c'est votre présence, c'est notre cohabitation de cinq ou six heures par jour, malgré nos geôliers, ce sont ces rayons d'intelligence que vous avez versés
dans mon cerveau, ces langues que vous avez implantées dans ma mémoire et qui
y poussent avec toutes leurs ramifications philologiques5. Ces sciences diverses que vous m'avez rendues si faciles par la profondeur de la connaissance que vous en avez et la netteté des principes où vous les avez réduites, voilà mon trésor, ami, voilà
en quoi vous m'avez fait riche et heureux.
Croyez‑moi et consolez‑vous, cela vaut mieux pour moi que des tonnes d'or et des caisses de diamants, ne fussent‑elles pas problématiques, comme ces nuages que l'on voit le matin flotter sur la mer, que l'on prend pour des terres fermes, et qui s'évaporent, se volatilisent et s'évanouissent à mesure qu'on s'en approche. Vous avoir près de moi le plus longtemps possible, écouter votre voix éloquente orner mon esprit, retremper mon âme, faire toute mon organisation capable de grandes et terribles choses si jamais je suis libre, les emplir si bien que le désespoir auquel j'étais prêt à me laisser aller quand je vous ai connu n'y trouve plus de place, voilà ma fortune, à moi : celle‑là n'est point chimérique ; je vous la dois bien véritable […]. » Ainsi ce furent pour les deux infortunés, sinon d'heureux jours, du moins des jours assez promptement écoulés que les jours qui suivirent.