C'était un jeune homme de dix-huit à vingt ans, grand, svelte1, avec de beaux yeux noirs et des cheveux d'ébène ; il y avait dans toute sa personne cet air calme et de résolution particulier aux hommes habitués depuis leur enfance à lutter avec le danger.
« Ah ! c'est vous, Dantès ! cria l'homme à la barque […]. »
« Et maintenant, si vous voulez monter, monsieur Morrel, dit Dantès
voyant l'impatience de l'armateur, voici votre comptable, M. Danglars, qui
sort de sa cabine, et qui vous donnera tous les renseignements que vous
pouvez désirer. Quant à moi, il faut que je veille au mouillage2 et que je
mette le navire en deuil3. »
L'armateur ne se le fit pas dire deux fois. Il saisit un câble que lui jeta
Dantès, et, avec une dextérité4 qui eût fait honneur à un homme de mer,
il gravit les échelons cloués sur le flanc rebondi du bâtiment, tandis que
celui-ci, retournant à son poste de second, cédait la conversation à celui qu'il avait annoncé sous le nom de Danglars, et qui, sortant de sa cabine, s'avançait effectivement au-devant de l'armateur.
Le nouveau venu était un homme de vingt-cinq à vingt-six ans, d'une
figure assez sombre, obséquieux5 envers ses supérieurs, insolent envers ses
subordonnés : aussi, outre son titre d'agent comptable, qui est toujours
un motif de répulsion pour les matelots, était-il généralement aussi mal
vu de l'équipage qu'Edmond Dantès au contraire en était aimé.
« Eh bien, monsieur Morrel, dit Danglars, vous savez le malheur, n'est-ce pas ?
– Oui, oui, pauvre capitaine Leclère ! c'était un brave et honnête homme !
– Et un excellent marin surtout, vieilli entre le ciel et l'eau, comme il
convient à un homme chargé des intérêts d'une maison aussi importante
que la maison Morrel et fils, répondit Danglars.
– Mais, dit l'armateur, suivant des yeux Dantès qui cherchait son mouillage,
mais il me semble qu'il n'y a pas besoin d'être si vieux marin que vous le
dites, Danglars, pour connaître son métier, et voici notre ami Edmond
qui fait le sien, ce me semble, en homme qui n'a besoin de demander des
conseils à personne.
– Oui, dit Danglars en jetant sur Dantès un regard oblique où brilla un
éclair de haine, oui, c'est jeune, et cela ne doute de rien. À peine le capitaine a-t-il été mort qu'il a pris le commandement sans consulter personne, et qu'il nous a fait perdre un jour et demi à l'île d'Elbe au lieu de revenir directement à Marseille.
– Quant à prendre le commandement du navire, dit l'armateur, c'était son
devoir comme second ; quant à perdre un jour et demi à l'île d'Elbe, il a
eu tort ; à moins que le navire n'ait eu quelque avarie6 à réparer.
– Le navire se portait comme je me porte, et comme je désire que vous
vous portiez, monsieur Morrel ; et cette journée et demie a été perdue par
pur caprice, pour le plaisir d'aller à terre, voilà tout.
– Dantès, dit l'armateur se retournant vers le jeune homme, venez donc ici. »