Laïtou1 (Roche) (Canton d'Attigny). Mai 73.
Cher ami, tu vois mon existence actuelle dans l'aquarelle ci‑dessous.
Ô Nature ! ô ma mère !
Quelle chierie ! et quels monstres d'innocence, ces paysans. Il faut, le soir,
faire deux lieues, et plus, pour boire un peu. La
mother2 m'a mis là dans
un triste trou.
Je ne sais comment en sortir : j'en sortirai pourtant. Je regrette cet atroce
Charlestown3, l'
Univers4, la Bibliothè., etc... Je travaille pourtant assez
régulièrement ; je fais de petites histoires en prose, titre général :
Livre
païen5, ou
Livre nègre. C'est bête et innocent. Ô innocence ! innocence ;
innocence, innoc... fléau ! […]
Je n'ai rien de plus à te dire, la contemplostate de la Nature m'absorculant
tout entier. Je suis à toi, ô Nature, ô ma mère !
Je te serre les mains, dans l'espoir d'un revoir que j'active autant que je puis.
R.
Je rouvre ma lettre. Verlaine doit t'avoir proposé un rendez‑vol au
dimanche 18, à Boulion. Moi je ne puis y aller. Si tu y vas, il te chargera
probablement de quelques fraguemants (sic) en prose de moi ou de lui, à
me retourner. […]
Je suis abominablement gêné. Pas un livre, pas un cabaret
à portée de moi, pas un incident dans la rue. Quelle horreur
que cette campagne française. Mon sort dépend de
ce livre, pour lequel une demi‑douzaine d'histoires atroces
sont encore à inventer. Comment inventer des atrocités
ici ! Je ne t'envoie pas d'histoires, quoique j'en aie déjà
trois,
ça coûte tant ! Enfin voilà !
Au revoir, tu verras ça.
RIMB
Prochainement je t'enverrai des timbres pour m'acheter
et m'envoyer le
Faust de Goethe, Biblioth. populaire. Ça
doit coûter un sou de transport. Dis‑moi s'il n'y a pas
des traduct. de Shakespeare dans les nouveaux livres de
cette biblioth.
R.