À caution
tous amants sont sujets1 :
Cette maxime en ma tête est écrite.
Point n'ai de foi pour leurs tourments secrets ;
Point auprès d'eux n'ai besoin d'eau bénite,
Dans cœur humain
probité2 plus n'habite
Trop bien encore a-t-on les mêmes dits
Qu'avant qu'astuce au monde fût venue ;
Mais, pour d'effets, la mode en est perdue :
On n'aime plus comme on aimait jadis.
Riches atours3, table, nombreux valets,
Font aujourd'hui les trois quarts du mérite.
Si des amants soumis, contents, discrets,
Il est encor, la troupe en est petite :
Amour d'un mois est amour
décrépite4.
Amours brutaux sont les plus applaudis.
Soupirs et pleurs feraient passer pour grue ;
Faveur est dite aussitôt qu'obtenue,
On n'aime plus comme on aimait jadis.
Jeunes beautés en vain tendent filets ;
Les jouvenceaux, cette
engeance maudite5,
Font bande à part ; près des plus doux objets,
D'être
indolent6 chacun se félicite.
Nul en amour ne daigne être hypocrite ;
Ou si, parfois, un de ces étourdis
À quelques soins s'abaisse et s'habitue,
Don de merci7 seul il n'a pas en vue ;
On n'aime plus comme on aimait jadis.
Tous jeunes coeurs se trouvent ainsi faits.
Telle denrée aux folles se débite,
Coeurs de barbons8 sont un peu moins coquets ;
Quand il fut vieux le diable fut ermite,
Mais rien chez eux à tendresse n'invite ;
Par maints hivers désirs sont refroidis ;
Par maux fréquents humeur devient bourrue.
Quand une fois on a tête
chenue9,
On n'aime plus comme on aimait jadis.
ENVOI
Fils de Vénus, songe à tes intérêts ;
Je vois changer l'
encens10 en
camouflets11 :
Tout est perdu si ce train continue.
Ramène-nous le siècle d'
Amadis12.
Il t'est honteux qu'en cour d'attraits pourvue,
Où politesse au comble est parvenue,
On n'aime plus comme on aimait jadis.