Établir une relation affective avec les machines n'est plus seulement un rêve d'auteur de science-fiction, mais bien une thématique émergente pour de nombreuses équipes de recherche, dont la mienne. Nous travaillons sur la détection des émotions dans les interactions parlées avec des machines, notamment avec des robots, à partir d'indices verbaux (ce qui est dit) et non verbaux (comment cela est dit). Un robot est une machine artificiellement intelligente grâce à des modèles informatiques conçus par des humains : pour peu qu'on l'ait programmée pour détecter et reconnaître des indices émotionnels et conversationnels et
pour s'adapter à l'humain, voire même faire de l'humour, cette machine peut sembler chaleureuse. Notre défi consiste ni plus ni moins qu'à créer une empathie et un humour propres aux machines. [...] Si vous êtes seuls et malheureux, le robot plaisante pour vous réconforter ; si vous êtes en colère, il vous rappelle avec humour que la situation n'est pas si terrible. [...]
La détection des réactions de l'utilisateur permet dès lors au robot d'ajuster son comportement de manière à établir une interaction sociale de meilleure qualité, donc plus stable à long terme. Par exemple, si le robot
Nao-Joker1 comprend que son interlocuteur n'est pas à l'aise, il tente de le faire rire par une blague ou de le valoriser en pratiquant l'autodérision. S'il comprend que la personne a une attitude négative envers lui, il va essayer d'interpréter les raisons de cette attitude et y répondre par diverses stratégies lui permettant de rééquilibrer l'interaction. Toutefois, les systèmes robotiques actuels sont encore loin d'être capables d'adaptation dans n'importe quelle conversation spontanée. [...]
Le but ultime est que vous vous attachiez ainsi à lui et que vous lui pardonniez ses imperfections, voire qu'il devienne capable de vous émouvoir et de vous divertir ! Il faut cependant bien comprendre que ces robots affectifs ne seront mis en œuvre que pour certaines applications particulières, comme les robots compagnons. De fait, la question de l'utilité et de la pertinence des modèles de comportements robotiques doit toujours se poser, à plus forte raison si ces machines doivent être placées auprès d'enfants ou de personnes fragiles. Il importe également de savoir si nous sommes prêts à accepter des robots capables de faire de l'humour ; et si nous pourrons un jour nous attacher à des machines affectives comme nous nous attachons à un animal domestique. Dans ce cas, quels statuts auront ces
artefacts2 dans nos sociétés ? Autant de questions éthiques et juridiques qu'il faudra bien se poser afin de préparer la société à vivre avec ces machines autonomes.