Je suis, moi aussi, un tenant fanatique du plus lourd que l'air. C'est, du reste, en fort bonne compagnie, car je puis abriter mon opinion d'amateur derrière l'autorité de savants et de praticiens comme Ponton d'Amécourt, de la Landelle, Nadar, Béléguic, Marey, Barral, Van Monckhoven, Forlanini, le duc d'Argyll, Babinet, Victor Tatin, Edison, Planavergne, etc., sans compter ce nouveau venu, Robur le Conquérant, qui pourrait bien, comme le dit son parrain, incarner « la science future ».
Je n'ai jamais cru au ballon dirigeable des aérostiers de Meudon, même au moment où l'engouement était tel, qu'on parlait presque d'ériger à MM. Renard et Krebs une paire de statues.
C'est que « ballon » et « direction » sont deux mots qui hurlent de se trouver accouplés. Vouloir lutter contre l'air en étant plus léger, c'est-à-dire plus faible que lui, c'est folie, parce que, en tout ordre de choses, il faut être le plus fort pour n'être point battu.
Sans doute, MM. Renard et Krebs ont pu manœuvrer leur ballon, le faire marcher en avant, en arrière, par le flanc, tirer des bordées, virer de bord, etc... Soit ! Mais tout cela, ils ne l'ont réussi et même tenté que grâce à un concours de circonstances exceptionnellement favorables.
Tout va bien, parbleu ! quand on n'a affaire qu'à une petite brise, et qu'on se contente de « bourlinguer » en douceur à une altitude raisonnable. Et ces messieurs avaient vraiment la part belle pour aider la fortune. Du seuil du vaste hall de remisage, clos et couvert où l'aérostat attend, tout gonflé, prêt à partir au premier signal, ils sont là qui interrogent de l'œil les quatre coins du ciel, guettant sans relâche, pendant des semaines et des mois, la bonace accidentelle qui leur garantira un succès facile. C'est alors, — alors seulement, — qu'ils poussent le traditionnel « Lâchez tout ! » et que, après une petite promenade à travers les nuages, ils reviennent triomphants, au grand enthousiasme des gobeurs, à leur point de départ. C'est comme si, au piquet, l'on ne jouait que quand on serait sûr, après avoir regardé, de trouver quinte et quatorze d'as à l'écart.
Si encore toutes ces précautions avaient toujours suffi. Mais non ! Je sais des expériences qui, faute d'avoir tâté le pouls à l'atmosphère, ont abouti au plus piteux échec. Aussi, ne parle-t-on plus guère de l'aérostat soi-disant dirigeable. Il a cessé d'être à la mode. Ce n'est pas in avem, mais in piscem, que desinit la machine tant et si haut prônée. Le ballon-cigare s'est évaporé en fumée.
Ce fiasco était fatal. Le principe en vertu duquel le ballon monte lui défend à tout jamais de se diriger. L'agneau que l'aigle emporte dans ses serres peut-il prétendre gouverner à sa guise l'essor de son ravisseur ?
Avec l'aérostat électrique « dirigeable », comme avec le premier ballon forain venu, il faut aller, ni plus ni moins que le « petit mousse » des Cloches de Corneville, « où le vent vous pousse ».
Sans doute, en biaisant avec le vent, les expérimentateurs ont pu remonter des courants aériens de trois ou quatre mètres de vitesse à la seconde. Mais rien de pratique n'a été obtenu.
Laissons de côté les ouragans et les tempêtes. Ce sont là des crises accidentelles qui forcent les navires eux-mêmes à fuir ou à chercher un abri. Parlons seulement des courants normaux, des conditions ordinaires de la circulation sur les grandes routes de l'espace. Contre un vent de moulin, — huit mètres à la seconde, — le ballon dirigeable marcherait en arrière ; contre une brise soufflant « frais », — dix ou douze mètres à la seconde — il s'en irait au diable...
Eh bien ! jusqu'au jour, où, dans ces conditions, le ballon ne sera pas assez maître de sa marche pour venir, à heure fixe, me prendre à mon balcon, il restera un mythe, et je persisterai dans mon incrédulité.
— Quoique modestes, dit-on, les résultats obtenus sont quand même des résultats, — et l'on invoque l'exemple des débuts, également modestes, de la navigation à vapeur.
De grâce, n'allons pas si vite. Le bateau à vapeur du marquis de Jouffroy, tout rudimentaire et grossier qu'il fut, remontait déjà la Saône, si j'ai bonne mémoire. Vos machines, elles, ne remontent pas les courants, elles les descendent, plus vite qu'à leur tour, comme l'on dit... Dans l'histoire de la marine, ce n'est pas aux steamboats, même première manière, qu'il les faut comparer, c'est tout au plus aux radeaux de nos lointains ancêtres des âges lacustres...
« La sublime et exécrable découverte de Montgolfier, a dit Nadar, a peut être retardé de cent ans la navigation aérienne. »
Que de temps perdu, en effet, que d'ingéniosité stérilement gaspillé depuis le jour où Mme Montgolfier, en faisant sécher son jupon au-dessus d'un réchaud, fournit inopinément à son mari les éléments premiers de cette tentative grandiose qui devait faire tant de bruit dans le monde !
Il y a mieux à faire que de perfectionner à perpétuité ce jupon légendaire et d'y accrocher des aubes ou des hélices plus ou moins parfaites.
La solution est ailleurs : elle est dans le plus lourd que l'air, l'insecte, la chauve-souris, qu'il faut s'attacher, sous cette réserve, bien entendu, que la copie servile de la nature ne mènerait à rien.
L'air est un point d'appui solide... Une circonférence d'un mètre de diamètre, formant parachute, peut, non seulement modérer la chute d'un corps grave, mais la rendre isochrone... Imprimez à une colonne d'air un mouvement ascensionnel de 45 mètres à la seconde, et un homme pourra se maintenir à sa partie supérieure, si les semelles de ses souliers mesurent en superficie 1/8 de mètre carré seulement ; et si la vitesse de la colonne est portée à quatre-vingt dix mètres, il pourra y marcher pieds nus. Or, en faisant fuir, sous les branches d'une hélice qui s'y vissera, en quelque sorte, une masse d'air avec cette rapidité, on obtient le même résultat... Le jour où M. de Lucy constata que l'insecte appelé cerf-volant pouvait enlever deux cent fois son propre poids, le problème de l'aviation avait trouvé la bonne piste... Sans compter que la surface de l'aile décroit relativement à mesure qu'augmentent les dimensions et le poids de l'animal.
Un ingénieur russe, dont je ne retrouve plus le nom, a pu construire une machine à vapeur actionnant une hélice, dont les spires, d'un pas très court et d'une surface très considérable, étaient orientées de façon à permettre à l'appareil de s'enlever lui-même à sa propre hauteur. C'est le principe de l'aéronef de Robur le Conquérant. Ce sera le principe de l'avenir.
Toute la question est de trouver un moteur extraordinairement puissant sous un volume extraordinairement petit : « le cheval-vapeur dans un boîtier de montre ».
Aura-t-on recours à la vapeur ? Peuh ! A l'heure où nous sommes, la vapeur est bien démodée et le jour approche où elle sera reléguée aux antiquailles. Sera-ce l'air comprimé, l'hydrogène ou l'acide carbonique liquides ? Sera-ce l'électricité, suivant l'avis et l'exemple du héros de Jules Verne, qui a, il est vrai, à sa disposition des piles mystérieuses et des accumulateurs extra, comme personne n'en a encore vu ?
Eh ! pourquoi n'aurait-on pas recours à ces substances explosives, dont on a beaucoup étudié jusqu'ici les propriétés destructives que l'emploi possible comme force motrice, mais qu'on vient cependant d'appliquer, parait-il, en Amérique à la propulsion d'un navire ? On a bien discipliné la foudre ; on a bien discipliné le gaz qui est, lui aussi, un agent explosif... Pourquoi n'en ferait-on pas autant pour la poudre à canon, la mélinite, le fulmi-coton surtout, qui laisse peu ou point de résidu ?
S'envoler à travers les nuages, sur les ailes de la dynamite, autrement qu'en morceaux, quel rêve pour les tsars... et pour les simples mortels !
Hurrah ! donc et trois hurrah pour Robur le Conquérant !