Il s'est établi depuis quelques années une école monstrueuse de romanciers [...].
Attacher par le dégoût, plaire par l'horrible, c'est un procédé qui malheureusement
répond à un instinct humain, mais à l'instinct le plus bas, le moins avouable, le
plus universel, le plus bestial. [...] Je ne prétends pas restreindre le domaine de
l'écrivain. Tout, jusqu'à l'épiderme, lui appartient : arracher la peau, ce n'est plus
de l'observation, c'est de la chirurgie ; et si une fois par hasard un écorché1peut être indispensable à la démonstration psychologique, l'écorché mis en système n'est
plus que de la folie et de la dépravation. [...]
Ceci expliqué, je dois avouer le motif spécial de ma colère. Ma curiosité a glissé ces
jours-ci dans une flaque de boue et de sang qui s'appelle Thérèse Raquin [...]. Le sujet
est simple, d'ailleurs, le remords physique de deux amants qui tuent le mari pour être
plus libres de le tromper, mais qui, ce mari tué (il s'appelait Camille), n'osent plus
s'étreindre, car voici, selon l'auteur, le supplice délicat qui les attend : « Ils poussèrent
un cri et se pressèrent davantage afin de ne pas laisser entre leur chair de place pour le
noyé. Et ils sentaient toujours des lambeaux de Camille qui s'écrasaient ignoblement
entre eux, glaçant leur peau par endroits, tandis que le reste de leur corps brûlait. »
À la fin, ne parvenant pas à écraser suffisamment le noyé dans leurs baisers, ils
se mordent, se font horreur, et se tuent ensemble de désespoir de ne pouvoir se
tuer réciproquement.
Si je disais à l'auteur que son idée est immorale, il bondirait, car la description
du remords passe généralement pour un spectacle moralisateur ; mais si le remords
se bornait toujours à des impressions physiques, à des répugnances charnelles, il ne
serait plus qu'une révolte du tempérament, et il ne serait pas le remords.
Dessin d'un corps dont la peau a été enlevée pour faire ressortir les muscles.