L'aventure commence.
C'est la cinquième fois que je me mets
en route pour la zone fermée du « Pays des
Neiges », et bien différents d'aspect ont été
ces départs échelonnés au cours de plus
de dix années. Certains se sont effectués
joyeusement, accompagnés par les rires des
domestiques, le carillon bruyant des sonnettes
suspendues au cou des mules, parmi
cet
affairement un peu brutal mais plein de
bonne humeur et tout le gai tapage qu'affectionnent
les populations de l'Asie centrale.
Un autre fut grave, presque solennel : en
grand costume
lamaïque, pourpre sombre
et
brocart d'or, je bénissais les villageois et
les dokpas assemblés pour saluer une dernière
fois
la khandoma étrangère.
Je m'éloignai, un jour, au milieu d'une féerie dramatique créée par un ouragan
s'élevant soudain, comme je me mettais en route. Dans le ciel, quelques instants
plus tôt ensoleillé, surgissaient d'énormes nuages sombres qui s'enroulaient
autour des pics géants, comme autant de monstres aux formes fantastiques. Une
sinistre
teinte plombée se répandit sur les montagnes environnantes, transformant
le décor immaculé et plein de majestueuse sérénité des hautes cimes,
en une sorte de morne et terrifiant paysage des Enfers. La tourmente de neige
m'enveloppait alors et, chancelante, aveuglée, un peu semblable à une épave
ballottée par la tempête, je m'en allai…
Deux fois, je partis en secret, aux premières lueurs du jour, emmenant ma
petite caravane à travers les immenses solitudes
thibétaines ; déserts arides et
déserts d'herbe, tous deux silencieux, farouches, énigmatiques, hautes terres
âpres et fascinantes, pays de rêves et de mystères… Maintenant, le chaud soleil
de l'automne chinois brille au beau ciel bleu sombre ; les montagnes, les bois
toujours feuillus, semblent nous inviter ; nous avons vraiment l'air de partir pour
une simple excursion.