On pourrait dire, pour retracer très grossièrement
cette histoire de l'espace, qu'il était au Moyen Âge un
ensemble hiérarchisé de lieux : lieux sacrés et lieux profanes, lieux protégés et lieux au contraire ouverts et sans
défense, lieux urbains et lieux campagnards (voilà pour
la vie réelle des hommes) ; pour la théorie cosmologique, il y avait les lieux supra-célestes opposés au lieu
céleste ; et le lieu céleste à son tour s'opposait au lieu
terrestre ; il y avait les lieux où les choses se trouvaient
placées parce qu'elles avaient été déplacées violemment
et puis les lieux, au contraire, où les choses trouvaient
leur emplacement et leur repos naturels. C'était toute
cette hiérarchie, cette opposition, cet entrecroisement
de lieux qui constituait ce qu'on pourrait appeler très
grossièrement l'espace médiéval : espace de localisation.
Cet espace de localisation s'est ouvert avec Galilée,
car le vrai scandale de l'œuvre de Galilée, ce n'est pas
tellement d'avoir découvert, d'avoir redécouvert plutôt, que la Terre tournait autour du soleil, mais d'avoir
constitué un espace infini, et infiniment ouvert ; de
telle sorte que le lieu du Moyen Âge s'y trouvait en
quelque sorte dissous, le lieu d'une chose n'était plus
qu'un point dans son mouvement, tout comme le repos
d'une chose n'était que son mouvement indéfiniment
ralenti. Autrement dit, à partir de Galilée, à partir du
XVIIe
siècle, l'étendue se substitue à la localisation.