Deux thèses s'affrontent dans le dernier quart du
XXe siècle : l'une voit dans la sécularisation1 un processus
inéluctable, à la fois condition et conséquence
de la modernité, l'autre constate ou salue le retour du
religieux, perçu soit comme protestation contre une
modernité aliénante ou illusoire, soit comme forme
différente d'entrée dans la modernité. Ce débat n'est
pas purement intellectuel : il est, en France, au cœur
du conflit sur la laïcité. Faut‑il imposer la laïcité contre
le religieux, au besoin au détriment de la liberté individuelle,
ou bien le renouveau religieux n'est‑il qu'un
reflet de la diversité, de la richesse et de la liberté
humaine ?
Or il y a un grand malentendu dans ce débat : la
sécularisation n'a pas effacé le religieux. En détachant
le religieux de notre environnement culturel, elle le fait
apparaître au contraire comme du pur religieux. En fait,
la sécularisation a fonctionné : ce à quoi nous assistons
c'est à la reformulation militante du religieux dans un
espace sécularisé qui a donné au religieux son autonomie
et donc les conditions de son expansion. La sécularisation
et la mondialisation ont contraint les religions
à se détacher de la culture, à se penser comme autonomes
et à se reconstruire dans un espace qui n'est plus
territorial et donc qui n'est plus soumis au politique.
L'échec du religieux politique (islamisme comme
théocratie) vient de ce qu'il a voulu concurrencer la
sécularisation sur son propre terrain : l'espace politique
(nation, État, citoyen, constitution, système juridique).
[…] Le religieux politique est tout simplement coincé
entre deux impératifs : l'incroyance est scandale, mais
la foi ne peut être qu'individuelle. […]
Il y a un lien étroit entre sécularisation et revivalisme2 religieux ; ce dernier n'est pas une réaction
contre la sécularisation , il en est le produit. Le sécularisme
fabrique du religieux. Il n'y a pas de « retour »
du religieux, il y a mutation. Cette mutation n'est sans
doute qu'un moment : elle n'ouvre pas nécessairement
vers un nouvel âge religieux […] En ce sens « le retour »
du religieux n'est qu'une illusion d'optique : il vaudrait
mieux parler de mutation. Le religieux est à la fois
plus visible et en même temps souvent déclinant. […]
Ces tendances vont de pair avec une volonté de plus
grande visibilité dans l'espace public, voire de rupture
ostensible avec les pratiques et cultures dominantes. Le
religieux s'exhibe comme tel, et refuse d'être réduit à un
système symbolique parmi d'autres.