Philosophie magazine revient sur des conceptions du temps de deux physiciens. Cet extrait présente ce qui les oppose.
Les physiciens Lee Smolin et Carlo Rovelli ont longtemps travaillé ensemble avant de diverger sur le problème de la nature du « temps ». Pour le premier, le « temps » existe vraiment. Pour le second, nous avons plutôt affaire à plusieurs couches de temps. Un désaccord qui ranime l'un des plus vieux débats de la métaphysique mais aussi nos émotions devant le futur et la mort.
L. S. : Je ne me reconnais plus dans des affirmations comme « le temps n'existe pas » ou « le temps ne fait qu'émerger », pour des raisons assez philosophiques. D'abord, je prends très au sérieux l'idée qu'il existe une distinction entre passé, présent et futur. À mon sens, cette distinction n'a pas de sens seulement localement, elle vaut pour l'ensemble de l'Univers. L'Univers au moment du big bang n'était pas le même que l'Univers aujourd'hui. Le fait que l'Univers évolue laisse penser qu'il a bien une histoire. Ensuite, je suis très attaché à la causalité. Une cause A déclenche un effet B. Si la causalité est une loi, alors elle suppose implicitement qu'il y a succession : l'effet B vient après la cause A. Voilà des idées auxquelles il est difficile de renoncer.
C. R. : Voici la manière dont, moi, je vois le problème. La notion de « temps » est complexe, composée de plusieurs couches. Une couche du temps est liée à notre cerveau : nous sentons, dans notre conscience, le temps
passer. Il existe une autre couche qui renvoie aux phénomènes irréversibles.
Une casserole pleine d'eau mise sur le feu va bouillir : c'est un phénomène temporel, mais d'une autre nature que le temps interne à la conscience. En outre, il existe des changements à l'échelle cosmologique que nous ne pouvons pas éprouver ni percevoir à notre échelle. Ces différentes couches sont liées entre elles, elles communiquent, elles sont sédimentées comme des strates, et parler du « temps » au singulier, c'est une manière imprécise de désigner l'ensemble de ces couches. Si quelqu'un vous demande quand les premières cités sont apparues, sa question est imprécise. Qu'est-ce qu'il entend par « cité » : le premier hameau, le premier village, la première ville, la première capitale ? La réponse adaptée dépend de l'échelle, et, à mon sens, il en va de même pour le temps.