Je ne sors jamais de la nostalgie sans malaise. La réalité est là, elle n'est guère conciliante. Et puis tant de choses m'ont échappé dans le voyage, mais quoi. Quatre mille et une années dans le brouillard ne se traversent pas comme ça, on revient avec des lacunes, des regrets, et des douleurs diffuses dont on ne sait si elles sont du présent ou du passé. On aimerait réécrire telle page de l'histoire, approcher tel personnage, vérifier son affaire avec lui, ou simplement, tout simplement, faire halte quelque part dans un petit village au bord d'une rivière et regarder la vie antique s'ébattre au jour le jour comme si le temps lui appartenait. On aimerait pouvoir leur dire ce qui les attend mais ce serait les galvaniser pour pas grand-chose ou tuer en eux l'espoir, avant tout c'est cela qui les faisait vivre. Et puis, il y a cette terrible question qui me taraude : s'ils nous voyaient, nous reconnaîtraient-ils comme leurs héritiers ? Le leur dirions-nous ? Ne vaudrait-il pas mieux le leur cacher ?
Le malaise vient aussi de ce constat : de cette longue histoire aux mille rebondissements, cette richesse faite de tant d'échecs et de tant de réussites, cette constante implication dans l'évolution de la mer commune, la Méditerranée, ces liens tissés dans tous les sens, nous avons tiré si peu, superficiellement comme si nous étions dans l'ignorance que la sève est dans les profondeurs. Devant la fresque, nous sommes comme des enfants, regardant de biais et tout à coup indifférents. Quel drame de ne pas savoir son histoire de bout en bout. Avec des fonds propres aussi considérables et si peu considérés, on craint pour l'avenir de l'entreprise.
Si longue soit l'absence, le présent nous attend, il nous requiert. Le présent c'est aussi de l'histoire, ma foi, de l'histoire en marche. Elle nous dira beaucoup demain, quand nous serons morts et oubliés. C'est bien de laisser quelques mystères en suspens pour une prochaine résurrection. Sans la nostalgie et sans l'attente du lendemain, que serait la vie ?