Les Deux Amants
La demoiselle se prépare :
elle jeûne et se prive de manger
pour être plus légère
et aider ainsi son ami. […]
[L]e roi amène sa fille,
vêtue de sa seule chemise.
Le jeune homme la prend dans ses bras.
Il a le philtre dans sa petite fiole :
sûr de la loyauté de son amie,
il le lui confie.
Mais je crains que le philtre ne lui serve guère,
car il ne connaît pas la mesure.
D'un pas rapide il emporte son amie
et gravit la montagne jusqu'à mi‑pente.
Il est si joyeux de la tenir dans ses bras
qu'il ne pense plus au philtre ;
mais elle sent bien qu'il s'affaiblit :
« Ami, dit‑elle, buvez donc !
Je sais bien que vous vous fatiguez :
reprenez donc des forces ! »
Mais le jeune homme lui répond :
« Belle amie, je sens mon cœur si fort
que pour rien au monde je ne voudrais m'arrêter,
pas même le temps de boire,
tant que je pourrai faire trois pas ! […] »
Aux deux tiers de la pente,
il a failli tomber.
La jeune fille ne cesse de le supplier :
« Ami, buvez votre remède ! »
Mais jamais il ne veut l'écouter ni la croire.
Douloureusement, il avance, la jeune fille dans les bras.
Il parvient au sommet mais l'épreuve a été trop dure :
il tombe pour ne pas se relever.
Il a rendu l'âme. […]
En voyant son ami perdu,
elle éprouve la plus grande souffrance de sa vie :
elle s'allonge près de lui,
le serre dans ses bras,
lui embrasse longuement le visage et la bouche.
Le deuil l'atteint alors au cœur :
c'est là que meurt la demoiselle,
si noble, si sage et si belle.