Tandis qu'ils parlaient de choses et d'autres, un jeune noble sortit d'une chambre, porteur d'une lance blanche qu'il tenait empoignée par le milieu. Il passa par l'endroit entre le feu et le lit où ils s'étaient assis, et tous ceux qui étaient là voyaient la lance blanche et l'éclat blanc de son fer. Il sortait une goutte de sang1 du fer, à la pointe de la lance, et jusqu'à la main du jeune homme coulait cette goutte vermeille. Le jeune homme nouvellement venu en ces lieux, ce soir‑là, voit cette merveille. Il s'est retenu de demander comment pareille chose advenait, car il lui souvenait de la leçon de celui qui l'avait fait chevalier et qui lui avait enseigné et appris à se garder de trop parler. Ainsi craint‑il, s'il le demandait, qu'on ne jugeât la chose grossière. C'est pourquoi il n'en demanda rien.
Deux autres jeunes gens survinrent alors, tenant dans leurs mains des candélabres d'or pur, finement niellés2. Les jeunes gens porteurs des candélabres étaient d'une grande beauté. Sur chaque candélabre brûlaient dix chandelles pour le moins. Une demoiselle, qui s'avançait avec les jeunes gens, elle, gracieuse, élégamment parée, portait un graal, à deux mains. Quand elle fut entrée dans la pièce, avec le graal qu'elle tenait, il se fit une si grande clarté que les chandelles en perdirent leur éclat comme les étoiles au lever du soleil ou de la lune. Derrière elle en venait une autre, qui portait un tailloir3 en argent. Le graal qui allait devant était de l'or le plus pur. Des pierres précieuses de toutes sortes étaient serties dans le graal, parmi les plus riches et les plus rares qui soient en terre et en mer. Les pierres du graal passaient toutes les autres, à l'évidence. Tout comme était passée la lance, ils passèrent par‑devant le lit, pour aller d'une chambre
dans une autre.
Le jeune homme les vit passer et il n'osa pas demander qui l'on servait de ce
graal, car il avait toujours au cœur la parole du sage gentilhomme. J'ai bien peur que le mal ne soit fait, car j'ai entendu dire qu'on peut aussi bien trop se taire que trop parler à l'occasion. Mais quoi qu'il lui en arrive, bien ou malheur, il ne pose pas de questions et ne demande rien.
Au Moyen Âge, on croit que le sang de la victime morte se remet à couler en présence du meurtrier. La lance fait aussi référence à la sainte lance du centurion Longin qui a percé le flanc droit du Christ mort sur la croix.
Incrustés d'émail noir.