Gavroche participe à l'émeute de 1832. Constatant que les insurgés manquent de munitions, il s'élance de la barricade pour ramasser les cartouches des soldats tués.
Le spectacle était épouvantable et charmant. Gavroche, fusillé, taquinait la
fusillade. Il avait l'air de s'amuser beaucoup. C'était le moineau becquetant
les chasseurs. Il répondait à chaque décharge par un couplet. On le visait
sans cesse, on le manquait toujours. [...] Les insurgés, haletants d'anxiété, le suivaient des yeux. La barricade tremblait ; lui, il chantait. Ce n'était pas un enfant, ce n'était pas un homme ; c'était un étrange gamin fée. On eût dit le nain invulnérable de la mêlée. Les balles couraient après lui, il était plus leste qu'elles. Il jouait on ne sait quel effrayant jeu de cache‑cache avec la mort ; chaque fois que la face
camarde1 du spectre s'approchait, le gamin lui donnait une pichenette.
Une balle pourtant, mieux ajustée ou plus traître que les autres, finit
par atteindre l'enfant
feu follet2. On vit Gavroche chanceler, puis il s'affaissa. Toute la barricade poussa un cri ; mais il y avait de l'
Antée3 dans ce
pygmée4 ; pour le gamin toucher le pavé, c'est comme pour le géant toucher la terre ; Gavroche n'était tombé que pour se redresser ; il resta assis sur son séant, un long filet de sang rayait son visage, il éleva ses deux bras en l'air, regarda du côté d'où était venu le coup, et se mit à chanter.
Je suis tombé par terre,
C'est la faute à Voltaire,
Le nez dans le ruisseau,
C'est la faute …
Il n'acheva point. Une seconde balle du même tireur l'arrêta court.
Cette fois il s'abattit la face contre le pavé, et ne remua plus. Cette petite grande âme venait de s'envoler.