1
Midi.
Dans le silence du sous-bois, un homme recouvre de terre le cercueil du père. Puis il s'écarte. Debout, immobiles, Nathan, Édith et Alex. Plus loin, Pierre et Julienne. Légèrement en retrait, Élisa. Nathan
sort un papier de sa poche, et lit à haute voix.
NATHAN. – « Lorsque ma mère est morte, j'avais six ans. Elle
montait l'escalier avec sa valise et je me souviens de la valise qui dérape sur les dalles de pierre. Lorsque mon père a
disparu, j'avais onze ans et c'était la guerre… Je me trouvais seul au monde, si seul et si soudain éveillé que le Diable me
visita… Je l'accueillis comme un renfort stratégique, un rempart de château fort où je m'éclipsais à l'abri des
meurtrières1. De ce jour, et pour l'éternité,
je sortis en vie, de la tête aux pieds bordé d'épines, impeccable et
glacé. À mon fils imaginaire, j'ai donné pour nom Nathan. Pour
toi Nathan, mon prodigieux éclat, fasse le ciel que je ne meure
pas trop tôt. Simon Weinberg, 1928. » Papa avait 20 ans.
Noir.
2
Une terrasse. De plain-pied avec la maison. Une table. Des chaises
de jardin. Alex et Nathan, debout. […]
ALEX. – Tu lui as dit de venir ?
ÉDITH. – Non. (
Un temps.) Quelle importance ?
ALEX. – Elle est partie ?
ÉDITH. – Non.
ALEX. – Dis-lui de foutre le camp.
ÉDITH. – Arrête…
ALEX. – Dis-lui de foutre le camp. S'il te plaît.
Silence.
ÉDITH. – Vous voulez que je fasse du café ?
ALEX. – Il y a là-dedans une indécence !
ÉDITH. – Écoute Alex, tu ne trouves pas que ce n'est pas le moment…
NATHAN. – Laisse-le…
ÉDITH. – Ils se voyaient tu sais, elle est même venue ici sans que tu le saches.
ALEX. – Et alors ?
ÉDITH. – Je veux dire, il n'est pas anormal qu'elle soit là…
ALEX. – Parce que toi, dès que tu fréquentes quelqu'un tu vas nécessairement à son enterrement ! Tu dois passer ta vie dans les enterrements ma pauvre !
NATHAN. – Tu fais un café Édith ?
ÉDITH. – Oui…
ALEX. – Laisse. J'y vais. (
En partant.) En fait, c'est moi qui suis anormal.
NATHAN. – C'est ton comportement qui est anormal.
Alex regarde Nathan, puis part. Édith s'assoit.
Silence.
Apparaît Élisa.
ÉDITH. – Assieds-toi… Viens, assieds-toi…
ÉLISA. – Non, je ne vais pas rester, merci… je venais juste vous dire au revoir…
Au revoir Édith… (
Elles s'embrassent.)… Au revoir Nathan…
(
Elle va vers lui et lui tend la main après une hésitation. Elle fait demi-tour.)
NATHAN. – Élisa…
ÉLISA – Oui ?
NATHAN. – Reste un peu…
ÉDITH. – Alex est parti faire du café, reste un petit peu…
ÉLISA. – Il va revenir…
[…] [
Édith sort pour aider Alex à préparer le café.]
ÉLISA (
très vite). – Nathan, je crois qu'on ne se reverra plus jamais, il y a une chose que je dois te dire… Durant ces années, je n'ai pensé qu'à une seule chose, te revoir, je n'ai eu qu'une obsession, te revoir, te voir, entendre ta voix… J'ai vécu hantée par toi, incapable d'aimer qui que ce soit…
Elle se retourne et part très vite. Nathan reste seul.