ALEX. – Bon, ben... épluchons !
Il s'assoit à la table et se saisit d'un navet.
Silence. Arrive Édith.
ÉDITH. – Ah, vous êtes tous là ?
PIERRE. – Personnellement je ne fais que surveiller.
ÉDITH. – Tu me fais une petite place à côté de toi, au soleil ?
PIERRE. – Viens, viens, viens !
JULIENNE. – Je me répète depuis ce matin, mais en tout état de cause je n'ai
jamais vu un temps pareil en novembre !
ALEX. – Ce navet est pourri.
JULIENNE. – Je dois avouer que les navets ne sont pas de la meilleure qualité. (
À Nathan.) Vous n'y êtes pour rien !
NATHAN. – Il est certain que je ne me sens pas vraiment responsable.
JULIENNE. – En tout cas vous faites ça comme un vrai professionnel !
NATHAN. – Vous trouvez ?
ALEX. – Mon frère est un grand professionnel, Julienne. En toute chose et en toute matière. Il est ce que j'appellerais le type même du professionnel.
NATHAN. – Ce qui n'est pas un compliment, vous l'avez compris.
ALEX. – Pourquoi ? C'est un compliment ... (
Il prend un deuxième navet.) Il n'y a que les mots qui changent avec le temps... Quand j'étais enfant, tous mes héros avaient le visage de Nathan.
Sindbad, D'Artagnan, Tom Sawyer1 mon préféré, c'était Nathan... Nathan le radieux, l'invincible, l'exemplaire parmi tous les modèles...
Pourri aussi. Décidément !... (
Il jette le navet et prend une pomme de terre.) Vous savez qu'à l'âge de dix ans, il donnait des concerts de piano. Dans le salon. Toute la famille écoutait religieusement.
NATHAN. – Je joue encore, mais je ne donne plus de récitals !
ALEX. – Eh oui !... C'est dommage... J'ai joué de la flûte à une époque...
Rires
[...] Une sorte de bambou creux, avec des trous, que j'avais acheté dans le métro.
C'était mon époque cordillère des Andes et bonnet de lama.
ÉDITH. – Je ne me souviens pas de t'avoir entendu.
ALEX. – Ah oui ? Moi non plus, remarque. Je n'ai jamais réussi à sortir un son. [...]
Dites-moi, ça rétrécit les légumes dans le bouillon ? On en a pour six mois, là !
ÉDITH. – On n'est pas obligé de tout mettre.
ALEX. – Vous restez dîner ? Enfin je veux dire, vous restez cette nuit ?
PIERRE. – Si tout le monde est d'accord, j'aime autant partir demain matin.
ÉDITH. – Ta chambre est faite, tu peux même rester jusqu'à lundi.
[...]
ÉLISA. – Il faudrait que je téléphone à la gare de Gien.
ÉDITH. – On est samedi... Tu as un train à huit heures.
NATHAN. – Je t'accompagnerai.
ÉLISA. – Merci...
ÉDITH. – Stop ! Ça suffit, c'est pas la peine d'éplucher le
reste, je ne saurai plus quoi en faire sinon.
Elle se lève et entreprend de débarrasser. Elisa, Julienne et Pierre l'imitent. Nathan quitte la table et s'écarte pour allumer une cigarette.
Seul Alex reste assis. [...] Édith reparaît pour prendre les derniers saladiers.
NATHAN. – Vous n'avez plus besoin de moi ?
ÉDITH. – Non, non il n'y a rien à faire...
Elle saisit le couteau et la pomme de terre qu'Alex triture encore,
puis sort. Nathan s'éloigne dans le jardin. Alex est seul. Noir.