ALEX. – Tu sais le plus incompréhensible ?… J'ai envie de lui demander pardon… Quand il était malade, je venais m'asseoir sur son lit, incapable de trouver les
mots, j'ai voulu un jour lui prendre la main, il a bougé pour replacer son drap
ou la couverture… je n'ai pas insisté… Il m'a dit « Ça marche la critique ? »
« Oui… » « Tu lis de bons livres ? »… Tellement d'amertume dans sa voix !...
Silence.
ALEX. – Tu crois que je le reverrai ?… Ça te fait rire ?
PIERRE. – Non, non ! Ce n'est pas ta question ! … Ce n'est pas ta question qui me fait sourire…
ALEX. – C'est quoi ?
PIERRE. – Rien… C'est une manière de… Tu as eu une expression qui m'a rappelé quelque chose… Certaines de tes expressions quand tu étais petit… Voilà.
ALEX. – Tu veux dire qu'à mon âge, on ne pose plus ce genre de questions, c'est ça ?
PIERRE. – Mais non, pas du tout !
ALEX. – Si. Tu souris avec un petit air de
commisération1, comme si…
PIERRE. – Mais absolument pas ! Je ne souris pas avec un petit air… D'abord je n'ai pas souri, j'ai… « soupiré », comme on dit en littérature… J'ai soupiré en
souriant… Et puis tu m'emmerdes !
ALEX. – Qu'est-ce que je dis ? Moi je ne dis rien…
PIERRE. – Et moi je dis n'importe quoi… Excuse-moi.
Un temps.
ALEX. – Tu ne m'as toujours pas répondu… […]
PIERRE. – Je crois que cette question du revoir ne se posera plus dans quelque
temps… Ça c'est une idée…
ALEX. – Quand je serai mort ?
PIERRE. – Oh non ! Bien avant !
ALEX. – Mais moi j'ai envie que tu me dises que je vais le revoir ! Merde, c'est simple, c'est net, j'ai envie que tu me dises : « Oui. Tu vas le revoir. » J'ai besoin de ça ! C'est bizarre que tu ne comprennes pas ! J'ai besoin de ça ! C'est con, c'est ce que tu veux, mais j'ai envie d'entendre, j'ai besoin qu'on me dise : « Oui ! Tu le reverras ! »
Silence. […]
Je ne pouvais pas lutter contre lui, il ne m'entendait pas… Jamais… je n'ai aucun souvenir de lui m'écoutant, sans impatience, sans… avec calme…
PIERRE. – Oui…
ALEX. – Si je ne le revois pas… (
Il se tait, incapable de poursuivre.)
PIERRE. – Tu n'as pas besoin de parler tu sais…
ALEX. – Je ne peux pas me faire à cette idée, quoi que tu penses, cette idée est impossible aujourd'hui…
PIERRE. – Oui… Sûrement…