Toutefois, expliquez-moi ce songe ; écoutez. Dans
ma maison vingt oies mangent le froment détrempé
de la montagne, un grand aigle au bec recourbé
brise le cou de tous ces oiseaux, et les tue ; elles gisaient
en foule dans le palais ; l'aigle remonte triomphant
dans les airs. Je pleurais, je gémissais, quoique ce fût un
songe ; les femmes des Grecs étaient rassemblées autour
de moi, qui me lamentais de ce que l'aigle avait tué les
oiseaux. Mais bientôt après cet aigle se place sur le toit
élevé ; prenant alors une voix humaine, il me dit :
« Rassurez-vous, fille de l'illustre Icarios ; ce n'est
point un songe, mais un présage certain, l'événement
s'accomplira. Ces oiseaux sont les prétendants ; moi,
j'étais l'aigle tout à l'heure, mais maintenant je suis
votre époux, qui viens en ces lieux, et qui donnerai la
mort à tous les prétendants. »
« À ces mots, le doux sommeil m'abandonne. Alors,
regardant avec attention, je vis les oies qui becquetaient
le froment dans un large bassin, comme auparavant. »
« O reine, lui dit alors le sage héros, il ne faut point
interpréter autrement votre songe […]. »
La prudente Pénélope lui répondit en ces mots :
« Étranger, les songes sont vains, et leurs paroles incertaines ; ils n'accordent pas aux hommes tout ce qu'ils
promettent. Il existe deux portes pour les songes légers ;
l'une est de corne, et l'autre est d'ivoire ; ceux qui traversent
la porte d'ivoire sont trompeurs, et n'apportent
que des paroles qui ne s'accomplissent pas ; ceux, au
contraire, qui traversent la porte de corne prédisent la
vérité, quand ils nous apparaissent. »