Bien avant Freud, des philosophes ont montré que les hommes sont plus conduits par leurs désirs que par leur raison, par leurs craintes que par leur lucidité. Malgré leur manque de crédibilité, malgré leur manque d'assises rationnelles, les représentations religieuses ont exercé une forte influence sur l'humanité, et continuent d'exercer cette emprise alors que les avancées de la connaissance auraient dû nous sortir de ce modèle infantile et illusoire. C'est pourquoi Freud affirme qu'il s'agit là non pas d'un problème cognitif, mais d'un problème psychologique. Ce à quoi nous nous heurtons relève de nos représentations psychiques, indépendamment de nos élaborations rationnelles. Mais ce n'est pas parce que les hommes ressentent le besoin de protection, la crainte d'être abandonnés que nous ne devons pas analyser ces désirs et craintes pour les dépasser. C'est ce qu'a tenté de faire Freud dans cet ouvrage.
Il s'agit de sortir les hommes de l'enfance, de les amener à l'autonomie et à la prise en main de leur existence. Freud pense que les découvertes et avancées de la science finiront par nous détromper. Certes, avec la science nous ne croyons plus à l'explication magique de la nature, mais notre désarroi face à la mort perdure. La nature demeure dangereuse. La caducité de notre corps, si elle est un peu freinée, n'est pas enrayée, enfin, les relations avec les autres hommes demeurent toujours aussi difficiles. Aussi, si Freud, dans Avenir d'une illusion, croit que la science peut remplacer la religion et la rationalité se substituer à la croyance aveugle, dans Malaise dans la civilisation (1929), il est beaucoup moins optimiste quant au progrès de l'esprit humain et moins confiant dans le triomphe de la raison. Il est vrai qu'entre temps le fascisme s'est installé en Italie et que le nazisme se prépare en Allemagne. Les progrès espérés depuis le siècle des Lumières, ainsi que la foi en la raison trouvent leurs limites et l'Europe assiste à une profonde régression. La raison comme l'analyse, psychanalytique ou pas, se montrent bien faibles face à la force des croyances, face aux craintes que ressentent les hommes, face à leur désarroi existentiel. Le XXIe siècle verra même une recrudescence de ces adhésions irrationnelles, que Freud n'aurait pu imaginer.