Pour revenir à Freud, je dirai que j'étais incapable de le comprendre parce que j'étais un Français nourri de tradition cartésienne, imbu de rationalisme, que l'idée d'inconscient choquait profondément. Mais je ne dirai pas seulement cela. Aujourd'hui encore, en effet, je reste choqué par une chose qui était inévitable chez Freud : son recours au langage physiologique et biologique pour exprimer des idées qui n'étaient pas transmissibles sans cette médiation. Le résultat, c'est que la façon dont il décrit l'objet analytique souffre d'une sorte de crampe mécaniste1. Il réussit par moments à transcender cette difficulté mais, le plus souvent, le langage qu'il utilise engendre une mythologie de l'inconscient que je ne peux pas accepter. Je suis entièrement d'accord sur les faits du déguisement et de la répression, en tant que faits. Mais les mots « répression », « censure », « pulsion » — qui expriment à un moment une sorte de finalisme et le moment suivant, une sorte de mécanisme, je les rejette.
Dans l'œuvre de beaucoup d'analystes en tout cas des premiers analystes — il y a toujours cette ambiguïté fondamentale : l'inconscient est d'abord une autre conscience, puis, le moment d'après, autre que la conscience. Et ce qui est autre que la conscience devient simple mécanisme.
Je reprocherai donc à la théorie psychanalytique d'être une pensée syncrétique2 et non dialectique. La notion de « complexe ». en particulier, le montre clairement : il y a interpénétration sans contradiction. J'admets, bien entendu, qu'il puisse y avoir, dans chaque individu, un nombre immense de contradictions « larvées » qui se manifestent, dans certaines situations, par des interpénétrations plutôt que par des confrontations. Mais cela ne veut pas dire que ces contradictions n'existent pas. Les résultats de ce syncrétisme, on les voit, par exemple, dans l'utilisation que font les psychanalystes du complexe d'Œdipe : ils s'arrangent pour y trouver n'importe quoi, aussi bien la fixation à la mère, l'amour de la mère, que la haine de la mère — selon Mélanie Klein. Autrement dit, on peut tout tirer du complexe d'Œpide, puisqu'il n'est pas structuré.
Un analyste peut dire une chose, puis, aussitôt après, le contraire, sans se soucier le moins du monde de manquer de logique, puisque, après tout, « les opposés s'interpénètrent ». Un phénomène peut avoir telle signification, mais son contraire peut signifier la même chose. La théorie psychanalytique est donc une pensée « molle ». Elle ne s'appuie pas sur une logique dialectique. C'est que cette cette logique, me diront les psychanalystes, n'existe pas dans la réalité. Je n'en suis pas si sûr : je suis convaincu que les complexes existent, mais je ne suis nullement certain qu'ils ne soient pas structurés.