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Philosophie Terminale

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SECTION 1 • Le roseau pensant
Ch. 1
La conscience
Ch. 2
L’inconscient
Ch. 4
La raison
Ch. 5
La vérité
SECTION 2 • Le fils de Prométhée
Ch. 6
La science
Ch. 7
La technique
Ch. 8
L’art
Ch. 9
Le travail
SECTION 3 • L’animal politique
Ch. 10
La nature
Ch. 11
Le langage
Ch. 12
L’État
Ch. 13
Le devoir
SECTION 4 • L’ami de la sagesse
Ch. 14
La justice
Ch. 15
La religion
Ch. 16
La liberté
Ch. 17
Le bonheur
Fiches méthode
Biographies
Annexes
Chapitre 3
Réflexion 1

La conscience du temps nous rend-elle malheureux ?

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Texte 1
Le fardeau du temps

Texte fondateur

L'homme jalouse l'animal. Ces deux êtres vivants partagent la conscience du temps, mais l'homme a la conscience du passage du temps. Ne pouvant vivre dans le bonheur de l'instant présent, il se souvient.

Contemple le troupeau qui passe devant toi en broutant. Il ne sait pas ce qu'était hier ni ce qu'est aujourd'hui : il court de‑ci de‑là, mange, se repose et se remet à courir, et ainsi du matin au soir, jour pour jour, quel que soit son plaisir ou son déplaisir.a Attaché au piquet du moment il n'en témoigne ni mélancolie ni ennui. L'homme s'attriste de voir pareille chose, parce qu'il se rengorge devant la bête et qu'il est pourtant jaloux du bonheur de celle‑ci.b Car c'est là ce qu'il veut : n'éprouver, comme la bête, ni dégoût ni souffrance, et pourtant il le veut autrement, parce qu'il ne peut pas vouloir comme la bête. Il arriva peut‑être un jour à l'homme de demander à la bête : « Pourquoi ne me parles‑tu pas de ton bonheur et pourquoi ne fais-tu que me regarder ? » Et la bête voulut répondre et dire : « Cela vient de ce que j'oublie chaque fois ce que j'ai l'intention de répondre. » Or, tandis qu'elle préparait cette réponse, elle l'avait déjà oubliée et elle se tut, en sorte que l'homme s'en étonna.

 Mais il s'étonna aussi de lui-même, parce qu'il ne pouvait pas apprendre à oublierc et qu'il restait sans cesse accroché au passé. Quoi qu'il fasse, qu'il s'en aille courir au loin, qu'il hâte le pas, toujours la chaîne court avec lui. […] Sans cesse une page se détache du rôle du temps, elle s'abat, va flotter au loin, pour revenird, poussée sur les genoux de l'homme. Alors l'homme dit : « Je me souviens. » Et il imite l'animal qui oublie aussitôt et qui voit chaque moment mourir véritablement, retourner à la nuit et s'éteindre à jamais. C'est ainsi que l'animal vit d'une façon non historique […]. L'homme, par contre, s'arc‑boute contre le poids toujours plus lourd du passé. Ce poids l'accable ou l'incline sur le côté, il alourdit son pas, tel un invisible et obscur fardeau.e Il peut le renier en apparence, ce qu'il aime à faire en présence de ses semblables, afin d'éveiller leur jalousie.
C'est pourquoi il est ému, comme s'il se souvenait du paradis perdu, lorsqu'il voit le troupeau au pâturage, ou aussi, tout près de lui, dans un commerce familier, l'enfant qui n'a encore rien à renier du passé et qui, entre les enclos d'hier et ceux de demain, se livre à ses jeux dans un bienheureux aveuglément. Et pourtant l'enfant ne peut toujours jouer sans être assailli de troubles. Trop tôt on le fait sortir de l'oubli. Alors il apprend à comprendre le mot « il était », ce mot de ralliement avec lequel la lutte, la souffrance et le dégoût s'approchent de l'homme, pour lui faire souvenir de ce que son existence est au fond : un imparfait à jamais imperfectible.
Friedrich Nietzsche
Seconde considération inactuelle, 1874, trad. H. Albert.

Aide à la lecture

a. En mettant en scène un « troupeau », Nietzsche évoque un animal dans ce qu'il a de plus impersonnel.
b. L'arrogance de l'humanité est de se penser supérieure alors qu'elle jalouse l'ignorance de l'animal face au temps qui passe.
c. L'auteur fait ici de l'oubli une compétence.
d. Le constant retour de l'instant (cette page qui se détache), qu'est-ce, sinon le souvenir ?
e. L'image de la pesanteur du temps est déterminante dans ce texte, et approfondie dans la figure de l'éternel retour développée dans Le Gai Savoir.
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Nietzsche - XIXe siècle

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Repères

  • Concept / Image / Métaphore
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Débat

L'éternel retour

Dans un autre texte – Le Gai Savoir – Nietzsche précise sa réflexion, en invitant à penser l'éternel retour comme une jauge de nos vies. Que se passerait-il si un démon vous proposait de revivre votre vie encore et encore : « Il n'y aura rien de nouveau en elle, si ce n'est que chaque douleur et chaque plaisir, chaque pensée et chaque gémissement et tout ce qu'il y a d'indiciblement petit et grand dans [votre] vie devront revenir pour [vous], et le tout dans le même ordre et la même succession. »
  • Question : Serait‑il effrayant de revivre pour toujours la même vie ?
  • Objectif : Comprendre que l'éternel retour peut être lu comme une forme de fatalisme. Nietzsche nous invite à aimer ce destin (amor fati) pour écrire nos vies de façon telle que nous puissions vouloir qu'elles reviennent éternellement. Il s'agit donc d'aimer le réel au point de vouloir son éternel retour ; ce souhait est « celui de l'homme le plus généreux, le plus vivant et le plus affirmateur. »
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Question

Les souffrances des hommes proviennent-elles de leur incapacité à pouvoir oublier ?
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Commentaire

Dans une comparaison entre l'individu humain et un troupeau animal, Nietzsche articule une fine analyse de la conscience du temps avec d'autres notions du programme, notamment la conscience, la liberté et le bonheur. Dans le style dense et imagé qu'il affectionne, Nietzsche utilise le paradoxe pour inviter le lecteur à mettre certaines idées reçues en question.

Le premier paradoxe concerne la liberté : attaché au piquet de l'existence, c'est‑à‑dire prisonnier, contraint dans son mouvement, l'animal ne manifeste pas la souffrance psychologique, qui serait le lot de tout être humain conscient s'il se trouvait à sa place.

Le deuxième paradoxe concerne l'inversion du sentiment de supériorité : ici, en effet, c'est bien l'homme qui jalouse l'animal, enviant une position plus confortable que la sienne, alors que le troupeau est péniblement attaché.

Cette jalousie se fonde sur un troisième paradoxe : l'homme jalouse le bonheur de l'animal.

La raison de ces paradoxes tient dans deux modalités très spécifiques de la conscience du temps, qui diffèrent entre l'homme et l'animal. Non pas que ce dernier n'ait aucune forme de conscience du temps : il possède une conscience du temps arrimée au présent, momentanée, incapable de retenir le passé, c'est‑à‑dire d'inscrire son existence dans la durée. Au contraire, la conscience de la durée condamne l'homme à la responsabilité de son existence et à l'évidence de sa mort.

D'où l'émergence d'une question centrale : ne devient‑il pas nécessaire d'oublier pour connaître et pour exister ? La conscience humaine du temps qui dure nous invite à nous défaire de tout regard trop naïf, comme l'idée selon laquelle la liberté serait parfaitement réfractaire à toute contrainte. Elle exige que nous fassions l'effort de déterminer s'il est possible de surmonter l'alternative entre être un animal ignorant du bonheur dans lequel il demeure (qu'est‑ce qu'un bonheur non conscient de soi ?) ou être un humain condamné à la souffrance occasionnée par sa conscience de la durée.

Le titre de l'œuvre, Considérations inactuelles, semble indiquer que Nietzsche n'entend pas être de son temps, ni comprendre l'histoire des hommes dans un système qui en rendrait compte. C'est l'aspect individuel et psychique du temps qui est ici l'objet de la réflexion.
Conscience du temps
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Texte 2
Le temps est l'image mobile de l'éternité

Pour Platon, le monde que nous connaissons a été fabriqué par un Dieu d'après un modèle éternel. Mais la copie du modèle n'est pas le modèle : ainsi le temps n'est pas l'éternité, mais une simple image de l'éternité.

Quand le père qui l'avait engendré s'aperçut que le monde qu'il avait formé à l'image des dieux éternels se mouvait et vivait, il en fut ravi et, dans sa joie, il pensa à le rendre encore plus semblable à son modèle. Or, comme ce modèle est un animal éternel, il s'efforça de rendre aussi tout cet univers éternel, dans la mesure du possible. Mais cette nature éternelle de l'animal, il n'y avait pas moyen de l'adapter complètement à ce qui est engendré. Alors il songea à faire une image mobile de l'éternité et, en même temps qu'il organisait le ciel, il fit de l'éternité qui reste dans l'unité cette image éternelle qui progresse suivant le nombre, et que nous avons appelé le tempsa.

En effet les jours, les nuits, les mois, les années n'existaient pas avant la naissance du ciel, et c'est en construisant le ciel qu'il imagina de leur donner naissance ; ils sont tous des parties du temps, et le passé et le futur sont des espèces engendrées du temps que, dans notre ignorance, nous transportons mal à propos à la substance éternelleb. Nous disons d'elle qu'elle était, qu'elle est, qu'elle sera, alors qu'elle est est le seul terme qui lui convienne véritablement, et que elle était et elle sera sont des expressions propres à la génération qui s'avance dans le temps ; car ce sont là des mouvements.
Platon
Timée, IVe s. av. J.-C., trad. É. Chambry.

Aide à la lecture

a. Pour les Anciens, le cycle cosmique est le modèle de la mesure du temps et son principe.
b. Une substance éternelle ne doit pas être confondue avec le changement temporel de ses états successifs.
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Platon - Antiquité

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Repères

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Question

Le temps a-t-il une réalité physique ou métaphysique ?
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Texte 3
Pourquoi craindre ce dont on ne fait pas l'expérience ?

Texte fondateur

L'idée de la mort peut troubler le temps de notre existence. Mais Épicure affirme qu'il y a une erreur logique à penser le temps de notre mort, puisque nous ne serons plus là pour la penser.

Prends l'habitude de penser que la mort n'est rien pour nous. Car tout bien et tout mal résident dans la sensation : or la mort est privation de toute sensibilité. Par conséquent, la connaissance de cette vérité que la mort n'est rien pour nous, nous rend capables de jouir de cette vie mortellea, non pas en y ajoutant la perspective d'une durée infinie, mais en nous enlevant le désir de l'immortalité. Car il ne reste plus rien à redouter dans la vie, pour qui a vraiment compris que hors de la vie il n'y a rien de redoutable. On prononce donc de vaines paroles quand on soutient que la mort est à craindre non pas parce qu'elle sera douloureuse étant réalisée, mais parce qu'il est douloureux de l'attendre. Ce serait en effet une crainte vaine et sans objet que celle qui serait produite par l'attente d'une chose qui ne cause aucun trouble par sa présence.

Ainsi celui de tous les maux qui nous donne le plus d'horreur, la mort, n'est rien pour nous, puisque, tant que nous existons nous-mêmes, la mort n'est pas, et que, quand la mort existe, nous ne sommes plus. Donc la mort n'existe ni pour les vivants ni pour les morts, puisqu'elle n'a rien à faire avec les premiers, et que les seconds ne sont plus.b Mais la multitude tantôt fuit la mort comme le pire des maux, tantôt l'appelle comme le terme des maux de la vie. Le sage, au contraire, ne fait pas fi de la vie et il n'a pas peur non plus de ne plus vivre : car la vie ne lui est pas à charge, et il n'estime pas non plus qu'il y ait le moindre mal à ne plus vivre : car la vie ne lui est pas à charge, et il n'estime pas non plus qu'il y ait le moindre mal à ne plus vivre. De même que ce n'est pas toujours la nourriture la plus abondante que nous préférons, mais parfois la plus agréable, pareillement ce n'est pas toujours la plus longue durée qu'on veut recueillir, mais la plus agréable.
Épicure
Lettre à Ménécée , IIIe s. av. J.-C., trad. O. Hamelin, Nathan, 1998.

Aide à la lecture

a. L'épicurisme est un courant philosophique visant notamment à apaiser l'existence humaine, en dissipant les illusions.
b. La mort n'existe pas pour les vivants, puisqu'elle suppose qu'ils ne soient plus vivants ; elle n'existe plus pour les morts, puisqu'ils n'ont plus de sensation et que l'épicurisme considère que toute connaissance vient des sens.
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Epicure - Antiquité

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Doc.

Placeholder pour Hans Baldung, <i>Les Trois Âges et la Mort</i>, 1510, huile sur toileHans Baldung, <i>Les Trois Âges et la Mort</i>, 1510, huile sur toile
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Hans Baldung, Les Trois Âges et la Mort, 1510, huile sur toile, 151 × 61 cm (musée du Prado, Madrid).
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Question

Le raisonnement d'Épicure suffit-il pour combattre le sentiment d'angoisse de la mort ?
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Repères

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Texte 4
Vie humaine et vie transcendantale

La vie transcendantale, universelle et infinie, ne connaît pas les limites de la vie empirique d'un homme. Elle ne connaît donc pas la mortalité.

L'homme ne peut pas être immortel. L'homme meurt nécessairement. L'homme n'a pas de pré-existence mondaine, dans le monde spatio-temporel il n'était auparavant rien, et il ne sera, plus tard, rien.a Mais la vie transcendantale1 originelle, la vie en dernier lieu créatrice du monde et de son moi dernier ne peut venir du néant et retourner au néant, elle est « immortelle » parce que le fait de mourir n'a ici aucun sens.
Edmund Husserl
Husserliana, 1916-1937, trad. B. Bégout, Revue de phénoménologie Alter, 1993.

Aide à la lecture

a. L'existence mondaine traduit ici l'idée que l'homme est un être dans le monde, en interaction avec lui. L'expression signifie que l'homme n'existe pas sous une forme autre que sa présence au monde.

Note de bas de page

1. La transcendance est la qualité d'un objet qui surpasse un ordre de la réalité. Une vie transcendantale n'est pas une vie plongée dans la réalité spatio-temporelle.
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Placeholder pour Edmund HusserlEdmund Husserl
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Husserl - XXe siècle

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Repères

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Question

Peut-on concevoir le principe de la vie hors du temps ?
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Activité

1. Relevez les différentes conceptions du temps abordées dans le texte 2, le texte 3, et le texte 4.
2. En quoi le fait de penser à la mort peut-il nous aider à comprendre le temps de la conscience ?
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