Bergson indique qu'il faut distinguer la perception de l'étendue et la conception de l'espace. Ces deux approches s'impliquent mutuellement, mais plus nous nous élevons vers les espèces intelligentes et plus ces notions se distinguent. Pour l'homme et pour l'animal, l'espace ne désigne donc pas la même chose. L'animal vit l'espace sans sentiment d'extériorité prononcé, alors que l'homme conçoit l'espace comme « un milieu vide homogène ». Kant propose, par sa définition des formes a priori de l'intuition sensible, un espace ainsi conçu qui ne repose pas sur une différenciation qualitative, propre à l'animalité. Ainsi l'animal ne perçoit pas l'espace géométrique, mais un espace qualitativement différent, par exemple en fonction du magnétisme de telle ou telle zone : « On a essayé d'expliquer ce sentiment de la direction par la vue ou l'odorat, et plus récemment par une perception des courants magnétiques, qui permettrait à l'animal de s'orienter comme une boussole. Cela revient à dire que l'espace n'est pas aussi homogène pour l'animal que pour nous ».
Bergson s'inscrit en faux contre l'école anglaise qui fait dériver la notion d'espace de la notion de durée. Selon Bergson, c'est l'espace qui est premier. Il prend l'exemple d'une succession de sensations lorsque l'on promène nos doigts sur une surface. On ne peut pas distinguer chaque moment sensible sans les situer dans l'espace, l'idée d'espace est donc première.
Cette réfutation suppose que nous distinguions la durée mêlée à l'idée d'espace, et la durée pure qui correspond à un esprit qui s'abstient de distinguer l'avant et l'après de ses états de conscience, et qui pour ainsi dire « se laisse vivre ».
Ainsi, lorsque nous percevons une mélodie nous pouvons avoir deux attitudes. D'abord nous pouvons tenter de distinguer chaque note, les replacer dans la succession, donc les spatialiser par un effort d'abstraction de la pensée. Mais la vraie durée de la mélodie est alors perdue. Ensuite, pour percevoir véritablement la durée, il faut que la succession des notes se produise sans distinction de chaque élément : ne voyons-nous pas que « nous les apercevons néanmoins les unes dans les autres, et que leur ensemble est comparable à un être vivant, dont les parties, quoique distinctes, se pénètrent par l'effet même de leur solidarité ? ». Cette durée prend la forme d'un mouvement continu, et l'intuition seule est capable de la saisir.
La vraie durée est dans l'interpénétration de changements qualitatifs au sein de la conscience, et ils ne doivent rien à la conception du nombre. C'est ce que Bergson nomme « l'hétérogénéité pure ». La multiplicité des états de conscience est alors qualitative et prend la forme d'un progrès continu.
Bergson prend l'exemple de l'endormissement. Si nous nous endormons au bruit d'un balancier régulier qui oscille, ce n'est pas le dernier bruit perçu qui provoque l'endormissement, ce n'est pas plus la somme arithmétique de tous ces bruits séparés et additionnés. C'est l'ensemble des bruits, qui forme un rythme, un organisme, et c'est précisément leur qualité organique qui provoque l'endormissement, c'est-à-dire que le tout – le rythme – n'est pas réductible à la somme des parties et donc à l'addition des bruits.
Nos sens perçoivent des mouvements comme « le signe en quelque sorte palpable d'une durée homogène et mesurable » et les sciences – la physique par exemple – conçoivent le temps comme une quantité chiffrable. Il est donc peu étonnant que nous éprouvions « une incroyable difficulté à nous représenter la durée dans sa pureté originelle ».
Pour y parvenir il faut comprendre une confusion fréquente entre l'espace le temps. Ainsi, lorsque nous observons une horloge et le déplacement des aiguilles, nous pensons percevoir une durée. Or la position de l'aiguille est toujours un « ici et maintenant ». Les positions passées de l'aiguille n'existent plus dans le monde extérieur, ce n'est que pour une conscience capable de se remémorer les positions passées que la succession existe. Si nous supprimons l'horloge, il reste la durée interne de la conscience, mais si nous supprimons la conscience, la position des aiguilles est toujours une, sans succession. L'extériorité – le monde physique – est sans succession, et la durée de la conscience est sans extériorité.
En revanche, si nous rapprochons l'espace réel sans durée et la durée réelle qui n'est pas une addition d'instants, nous faisons naître « une représentation symbolique » : « La durée prend ainsi la forme illusoire d'un milieu homogène, et le trait d'union entre ces deux termes, espace et durée, est la simultanéité, qu'on pourrait définir l'intersection du temps avec l'espace. »