Philosophie Terminale

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Ch. 4
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Ch. 6
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Chapitre 7
Réflexion 3

Toute technique est-elle aussi un savoir ?

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Texte 8
Pas de construction technique sans connaissance

Pour Aristote, toute production technique implique une forme de savoir : il est impossible de réaliser un bon objet technique si l'on ne connaît pas l'ensemble des règles, les étapes du processus à suivre pour parvenir à la confection. Notons que l'art est ici à comprendre au sens de technique (voir l'encart « Précision » ci‑dessous).

 Mais comme l'architecture est un art, et ce qu'on peut appeler une disposition ou habitude d'exécution, accompagnée de raison ; et comme il n'est aucun art qui ne soit pas une telle habitude, ni aucune habitude ou disposition de ce genre, qui ne soit un art, il faudrait en conclure qu'un art et une habitude d'exécution dirigée par la raison véritable, sont la même chose.

 Au reste, tout art consiste à produire, à exécuter, et à combiner les moyens de donner l'existence à quelqu'une des choses qui peuvent être et ne pas être ; et dont le principe est dans celui qui fait, et non dans la chose qui est faite. Car il n'y a point d'art des choses qui ont une existence nécessaire, ni de celles dont l'existence est le résultat des forces de la nature, puisqu'elles ont en elles‑mêmes le principe de leur être.a […]

 L'art est donc, comme je viens de le dire, une certaine habitude d'exécution dirigée par la véritable raison ; et le défaut d'art, au contraire, est une habitude d'exécution dirigée par un faux raisonnement, dans les choses qui peuvent être autrement qu'elles ne sont.
Aristote
Éthique à Nicomaque, IVe s. av. J.-C., livre VI, trad. J.-F. Thurot.

Aide à la lecture

a. Toute technè consiste à faire une chose dans un but précis. Or, donner un but suppose de modeler la matière selon une volonté et des connaissances. Si une chose contient son principe créateur, elle relève de la nécessité naturelle et non de l'art. Par exemple, une graine contient une plante potentielle. La plante n'est donc pas fabriquée par l'art.
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Aristote - Antiquité

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Repères

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Question

En quoi consiste la disposition à produire suivant « une règle vraie » ?
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Précision

La technè

Le terme « technique » vient du verbe grec technein qui signifie fabriquer, produire, construire. Il s'oppose à la praxis d'une part, qui renvoie à l'action, et à l'epistémè, d'autre part, qui renvoie au savoir. La technique, c'est donc une action visant la production d'un effet concret par assemblage ou transformation. Elle ne s'appuie pas seulement sur un savoir théorique, comme l'ingénieur s'appuierait sur ses connaissances mathématiques : elle est elle‑même une forme spécifique de savoir que l'on appelle le savoir-faire.

Cette connaissance pratique acquise par l'expérience permet de faire ce qui est juste : le geste est parfaitement approprié mais il est aussi optimisé, et le processus est parfaitement maîtrisé.

On remarque que deux domaines relèvent de la technè : l'art et l'artisanat. La différence n'est introduite qu'au XVIIe siècle ; c'est pourquoi, dans les textes antiques, le terme d'art désigne aussi bien les beaux-arts que les activités techniques.
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Texte complémentaire
Ce qu'est l'apprentissage d'une technique

 Le cadre de cet apprentissage fut l'instant critique, dans l'art du verre soufflé, où le verre fondu est « cueillé » à l'extrémité d'une longue canne étroite. A moins de tourner constamment la canne, le verre visqueux formera un sac. Pour obtenir une boule de verre régulière, les mains doivent effectuer des mouvements de moulinet, un peu comme si l'on voulait tourner une cuiller à café dans un pot de miel. Ce travail de la main implique le corps tout entier.

 Pour éviter la tension quand il fait tournoyer la canne, le souffleur doit se courber, non pas à hauteur des épaules, mais comme un rameur au moment de donner un coup de rame. […] Pour mieux travailler, découvrit [Erin O'Connor, souffleuse de verre], il lui fallait anticiper ce que le matériau devait être au stade suivant de son évolution, encore inexistant. Il s'agissait de « rester sur les rails », expliqua son instructeur, mais avec son esprit plus porté sur la philosophie, elle comprit qu'elle était engagée dans un processus d'« anticipation corporelle » : toujours devancer d'un temps le matériau, qu'il s'agisse du liquide fondu, de la bulle, de la bulle avec une tige puis de la tige avec son pied. Elle devait faire de cette préhension un état d'esprit permanent. […] Il s'agit de répétition pour la répétition : comme chez le nageur, le simple mouvement devient un plaisir en soi.

 Nous pourrions croire, comme Adam Smith à propos du travail industriel, que la routine est abrutissante, qu'à faire sans cesse la même chose on s'étiole mentalement ; on pourrait assimiler routine et ennui. Rien de tel pour ceux qui cultivent les techniques manuelles. Faire et refaire une chose est une pratique stimulante pour peu qu'elle soit organisée dans l'anticipation. La substance de la routine peut changer, métamorphoser améliorer, mais la gratification émotionnelle réside dans l'expérience même de la répétition. Il n'y a rien d'étrange dans cette expérience. Nous la connaissons tous, c'est le rythme. Le rythme s'inscrit dans les contractions du cœur et que l'artisan qualifié a étendu à la main et à l'œil. […]

 Nous avons essayé de cerner des formes de compréhension mentale qui émergent de l'acquisition de compétences manuelles spécialisées et subtiles, qu'il s'agisse de trouver le ton juste, de couper un grain de riz ou de souffler du verre pour lui donner une forme difficile. Mais ces talents de virtuose eux‑mêmes reposent sur les fondamentaux du corps humain. La concentration est le couronnement d'un développement technique. Les mains ont dû auparavant expérimenter par le toucher, mais selon une norme objective ; elles ont appris à coordonner l'inégalité, à appliquer une force minimale et à relâcher. Les mains établissent aussi un répertoire de gestes savants. Et les gestes peuvent encore être raffinés ou révisés au sein d'un processus rythmique qui se produit dans la pratique tout en l'entretenant. La préhension préside chaque étape de la technique, et chaque étape est chargée d'implication éthique.
Richard Sennett
Ce que sait la main. La culture de l'artisanat, 2008, trad. P.-E. Dauzat, Albin Michel, 2010.
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Une souffleuse de verre : travailler le verre, c'est pratiquer une anticipation corporelle.
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Activité

1. Cherchez des exemples d'activités techniques qui nécessitent une mémoire corporelle et une anticipation.

2. Le savoir-faire est-il seulement le respect d'un processus ?
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Texte 9
La technique court-circuite la pensée

Texte fondateur

Lorsqu'un appareil dysfonctionne, notre premier réflexe est d'appuyer de façon hasardeuse sur les commandes. Alain voit dans ce comportement une mise en échec de la pensée, dans la mesure où l'homme préfère manipuler l'appareil comme un objet magique.

 La puissance est plus aimée que le savoir ; et c'est une étrange loi de nos actions que le succès va toujours au-delà de ce que nous comprenons ; ainsi il n'y a point d'homme que le succès déshonore. La technique, en toute chose, est ce genre de pensée qui se méprise elle-même. Si je m'envole, au diable les théories. Il y a un plaisir à gagner par science, comme aux échecs ; il y a plaisir à gagner par chance, comme à la roulette ; et c'est au second que les hommes ont attaché le bonheur. « Il a du bonheur », cela ne veut pas dire qu'il sache ce qu'il fait, au contraire. Devin est plus honoré que n'est sage ; et l'on passe mille erreurs au devin, car c'est la plus haute espèce d'ambitieux. Toutefois, dans les affaires humaines, où il est sensible que l'espoir change l'évènement, on méprise celui qui ne réussit pas, comme un ingrat. […] Qui explique pourquoi le moteur ne tourne pas, il intéresse, faute de mieux ; mais celui qui fait tourner le moteur est un dieu. Où l'on saisit très bien que chacun attend l'occasion de trahir l'esprit. Mais le technicien parfait a sauté la barrière, il a de l'esprit contre l'esprit. Tel est le renégat absolua ; et il y a de cette graine en tout homme. Chaque invention a humilié l'esprit, et consolé. On a fait l'arc, le treuil et la voile sans savoir assez ce qu'on faisait ; de même le moteur à essence et l'avion ; de même la grosse Bertha1. On a souvent remarqué que nos lointains ancêtres avaient une technique fort avancée avec des idées d'enfant. Nos descendant diront à peu près la même chose que nous ; car il est vrai que nous savons plus que les sauvages ; mais, en nous comme en eux, il y a toujours une pointe de puissance qui est en avance sur le savoir ; et, en nous comme en eux, toute avance de cette pointe tue une idée. De deux hommes qui méprisent leur propre savoir, celui qui sait le plus est le plus sauvage. […]

 Que sait-on de rien ? Que saura-t-on jamais de rien ? Il faut être enfant pour essayer de dire ce qu'est l'or en lui‑même, et comment il est réellement fait ; ce que c'est l'électricité en elle-même, et de quoi elle est faite. Et, plus simplement, comment concevoir même que l'on connaisse le tout de cet univers, ou le dernier détail de ses parties ? Deux infinis.b Une connaissance incomplète n'est pas le vrai ; et ce qui y manque est toujours immense. Ainsi l'esprit a fait faillite, et fera toujours faillite. Laissez-nous donc manier les ondes, les richesses, les hommes, sans les connaître. Et perçons au lieu de penser, perçons ce qui résiste, la victoire fait preuve. Je reprends ce lieu commun pour trop connu seulement pour faire voir qu'il fait la guerre, et non pas par accident.
Alain
Les passions et la sagesse, 1946, © Éditions Gallimard, 1960.

Aide à la lecture

a. S'il est renégat, c'est que l'homme renie sa capacité de penser.
b. Les deux infinis renvoient à l'infiniment grand, c'est-à-dire l'univers, et à l'infiniment petit, à savoir les atomes et ses composants. C'est une référence au philosophe Blaise Pascal.

Notes de bas de page

1. Grosse Bertha : pièce d'artillerie lourde, montée sur rails, utilisée par l'armée allemande durant la Première Guerre mondiale.
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Alain - XXe siècle

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Repères

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Question

Pourquoi la connaissance paraît-elle plus incertaine que la manipulation hasardeuse ?
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Commentaire

Pour Alain, c'est la réussite qui importe à l'homme et non les moyens qu'il a mis en oeuvre pour y parvenir. Il distingue ainsi deux manières d'approcher l'objet technique :
  • en technicien : c'est celui qui va analyser l'objet et mettre en oeuvre un raisonnement pour le comprendre ;
  • en bricoleur : c'est celui qui va tenter de réparer en touchant à tout sans vraiment comprendre ce qu'il est en train de faire.

L'homme a tendance à appréhender la technique non pas comme un objet sérieux, mais comme un objet ludique. Il éprouve un « plaisir à gagner par chance », c'est‑à‑dire à parvenir au résultat escompté sans fournir d'effort. Il est ainsi gratifiant de ne pas avoir perdu de temps et d'énergie à essayer de comprendre d'où vient une panne.

Alain explique que celui qui parvient ainsi au résultat sans comprendre lui‑même comment il a fait se sent privilégié, comme s'il avait été choisi par les dieux qui lui ont accordé ce miracle. Il exerce alors sur les autres une fascination, là où le technicien capable d'expliquer l'ensemble du processus est lui méprisé.

Sans rejeter le progrès technique, le philosophe déplore cette attitude : renoncer à penser, c'est renoncer à ce qui fait de nous des hommes. En effet, Aristote disait déjà à la première ligne de la Métaphysique : « tous les hommes ont un désir naturel de savoir ». Or, avec la technique, Alain montre que les hommes ont renoncé à ce désir ; ils veulent simplement jouer et gagner sans penser, puisqu'il sera impossible de connaître l'intégralité du monde qui nous entoure. En faisant cela, les hommes perdent leur humanité, ils (re)deviennent sauvages.
schéma Alain technique
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Débat

L'intelligence artificielle va-t-elle remplacer l'intelligence humaine ?

En 1996 puis 1997, deux rencontres furent organisées entre un grand joueur d'échecs, Garry Kasparov, et un ordinateur, Deep Thought, renommé ensuite Deep Blue.

L'humain Kasparov obtint la victoire la première fois, mais en enregistrant et analysant la stratégie de Kasparov, Deep Blue gagna la seconde rencontre.

L'intelligence artificielle ne cesse d'être perfectionnée : non seulement elle est capable d'effectuer des calculs extrêmement complexes en très peu de temps, mais elle est aussi aujourd'hui capable de compiler les informations pour les traiter et même d'apprendre seule de nouvelles fonctionnalités.
  • Question : Un certain type d'intelligence artificielle (dite « IA forte » ou « ascendante ») semble largement dépasser les capacités de calcul des humains. Selon vous, faudrait- il alors laisser les machines penser à notre place ?
  • Objectif : Distinguer différents types d'intelligence. Il ne faut pas, par exemple, confondre l'intelligence et le calcul. Cela suppose de comprendre les circonstances dans lesquelles la pensée est mise en œuvre, notamment en intégrant la notion de finalité dans les opérations de l'intelligence.

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