La pêche aux insectes est une des pratiques les plus
étudiées chez les chimpanzés. Elle concerne surtout les
femelles, les mâles préférant la technique moins délicate
[…]. Quand elle veut pêcher, la femelle chimpanzé
commence par repérer un nid, souvent déjà connu et
exploité par le groupe. Elle cherche alors une brindille
dans les arbres alentour, la casse, la débarrasse éventuellement
de ses feuilles et de son écorce et la taille à la
bonne longueur avec, pourquoi pas, un bout pointu.
Elle retourne alors au nid, fait la queue si un collègue
est déjà à table puis, son tour venu, plonge son outil
dans les galeries pleines d'insectes.
La pêche est-elle une pratique culturelle des chimpanzés
? Cela se pourrait. D'une part, toutes les populations
ne pêchent pas à l'aide de baguette : dans la forêt de
Taï, en Côte d'Ivoire, on ne pêche des termites qu'avec
les bras. D'autre part, dans les groupes utilisant une
baguette, les techniques de préparation varient d'un lieu
à l'autre. La plupart du temps, l'extrémité de l'outil est
pointue, sans effilochage, pour une progression optimale
dans les galeries. Si elle est usée, le pêcheur la mordille
pour la remettre à neuf. Mais un groupe vivant en République
démocratique du Congo (RDC) fait exactement
le contraire : ses membres abîment volontairement la
pointe, à la main et avec les dents, pour l'effilocher et
s'en servir comme brosse ! Ils passent régulièrement la
baguette dans le creux de leur main pour ranger les fils,
comme un peintre recoiffe son pinceau ébouriffé. Un tel
outil peut même être exploité de plusieurs manières, la
plus sophistiquée consistant à user du « manche » pour
agrandir l'entrée de la galerie, puis de la brosse pour
ramasser les termites. Au final, ce groupe vivant en RDC
a développé une technique de pêche unique au monde…
Côté fourmis, là encore, à chacun sa méthode. Les
populations de chimpanzés vivant dans les parcs nationaux
de Bossou (Guinée) et de Taï pêchent des fourmis
légionnaires, des nomades qui se déplacent à la recherche de proies en établissant à chaque étape un camp de base.
Pour les ramasser, les chimpanzés utilisent leur baguette
soit comme une sonde qu'ils plongent dans les galeries
du nid, soit comme râteau pour récolter les fourmis dans
les bataillons en déplacement. À Bossou et à Taï, on
pêche les cinq mêmes espèces de fourmis, dont certaines
sont très agressives et peuvent mordre douloureusement
l'assaillant. Conséquence logique : les baguettes utilisées
pour pêcher les fourmis agressives sont en moyenne plus
longues. Cela laisse au chimpanzé plus de temps pour
ramasser les fourmis avant qu'elles remontent le bâton,
toutes mandibules dehors.