Mill s'inscrit contre toute une tradition philosophique défendant une éthique naturaliste, consistant à affirmer qu'une existence humaine accomplie, heureuse et même vertueuse correspondrait à une vie prenant la nature comme modèle.
Du précepte stoïcien «
naturam sequi » (suivre la nature) à Rousseau, le naturalisme moral qu'il combat invite à renoncer aux désirs irréalisables que la société impose à l'individu. Selon le naturalisme, il s'agit pour l'homme de se recentrer sur les besoins essentiels à sa nature, d'accepter son inscription et sa soumission nécessaires dans un Tout qui le dépasse et dont il doit accepter fatalement et indifféremment le cours. Il est invité à renoncer aux artifices aliénant de la culture et de la société pour embrasser une existence spontanée, simple et sans fard. À la fois authenticité, simplicité et harmonie, la nature serait indéfectiblement favorable à la vie bonne.
Face à cette vénération de la nature, Mill affirme au contraire que « la conformité à la nature n'a absolument rien à voir avec le bien et le mal » et même, plus radicalement, s'il faut vraiment choisir, que la nature est plutôt pour l'homme du côté du mal : « La nature accomplit chaque jour presque tous les actes pour lesquels les hommes sont emprisonnés ou pendus lorsqu'ils les commettent envers leurs congénères. »
Ainsi, seuls la culture et l'artifice permettent à l'homme de survivre, non pas avec, mais face à une nature qui se présente d'abord à l'homme comme un immense danger et un ennemi. L'amélioration de la condition humaine consiste à transformer l'ordre spontané de la nature, et non à s'y soumettre.
L'argumentation de Mill s'articule en plusieurs moments.
- Il analyse d'abord les multiples sens du concept de nature puis critique l'éthique naturaliste et la conception normative de la nature.
- Il tire ensuite les conséquences théologiques de cette thèse et s'oppose à la conception judéo-chrétienne de la nature.
- Enfin, il s'intéresse plus spécifiquement à la question de la nature humaine et cherche à savoir si cette dernière est bonne ou mauvaise.