CLAUDIUS, voyant qu'Arrie veut se retirer.
– D'où vient qu'en me voyant vous fuyez de ces lieux ?
Quoi ! voulez-vous toujours vous cacher à nos yeux,
Madame, et toute entière à votre inquiétude,
Au milieu de ma cour chercher la solitude ?
ARRIE. – Seigneur, dans les malheurs où mes jours sont réduits,
C'est à la solitude à cacher mes ennuis ;
Et surtout dans un jour où votre hymen1 s'apprête,
Ma douleur importune en troublerait la fête.
CLAUDIUS. – Cette fête, sans vous, serait triste pour moi.
Je ne puis être heureux qu'autant que je vous vois.
Ce discours vous surprend ; et je sais bien, madame,
Que, si sur votre cœur il faut régler mon âme,
Le voyant tous les jours dans sa haine affermi,
Je dois n'avoir pour vous que des yeux d'ennemi.
Mais malgré cette loi que votre cœur m'impose,
Un destin plus puissant autrement en dispose :
Et lorsqu'à vous haïr il prétend m'animer,
Je sens trop que le mien ne peut que vous aimer.
ARRIE. – Moi !
CLAUDIUS. – Ne m'opposez point mes feux pour Agrippine.
Je retire une main que l'amour vous destine,
Et j'ignorais encor' le pouvoir de vos yeux,
Lorsque je lui promis un trône glorieux.
C'est à vous d'y monter. Régnez, régnez, madame ;
Régnez sur les Romains ainsi que sur mon âme.
S'il était ici-bas un rang plus élevé,
Les dieux, et mon amour vous l'auraient réservé.
Mais enfin à vos pieds je mets la terre et l'onde2,
L'époux que je vous offre est le maître du monde :
Et, quelque grand qu'il soit, vous voyez toutefois
Que ce maître du monde est soumis à vos lois.
ARRIE. – Seigneur, de quelque éclat que votre amour me flatte,
L'excès de vos bontés ne ferait qu'une ingrate […].
CLAUDIUS. – Oubliez des malheurs dont la fin est si belle :
Et ne songez qu'au trône où mon choix vous appelle. […]
Je ne dis plus qu'un mot. Vous savez mon amour,
Et je ne vois que trop votre haine à mon tour.
Je vous parle en amant ; mais vous pourriez peut-être
Me contraindre à la fin à vous parler en maître.
Du maître ou de l'amant, c'est à vous de choisir.
Je vous laisse, madame, y rêver à loisir.
Mariage. Claudius va épouser Agrippine (la mère de Néron).