NÉRON. – Narcisse, c'en est fait. Néron est amoureux.
NARCISSE. – Vous ?
NÉRON. – Depuis un moment, mais pour toute ma vie,
J'aime, que dis-je, aimer ? j'idolâtre Junie !
NARCISSE. – Vous l'aimez ?
NÉRON. – Excité d'un désir curieux,
Cette nuit je l'ai vue arriver en ces lieux,
Triste, levant au ciel ses yeux mouillés de larmes,
Qui brillaient au travers des flambeaux et des armes,
Belle, sans ornements, dans le simple appareil1
D'une beauté qu'on vient d'arracher au sommeil.
Que veux-tu ? Je ne sais si cette négligence2,
Les ombres, les flambeaux, les cris et le silence,
Et le farouche3 aspect de ses fiers ravisseurs
Relevaient de ses yeux les timides douceurs,
Quoi qu'il en soit, ravi4 d'une si belle vue,
J'ai voulu lui parler et ma voix s'est perdue ;
Immobile, saisi d'un long étonnement,
Je l'ai laissé passer dans son appartement.
J'ai passé dans le mien. C'est là que, solitaire,
De son image en vain j'ai voulu me distraire.
Trop présente à mes yeux je croyais lui parler,
J'aimais jusqu'à ses pleurs que je faisais couler.
Quelquefois, mais trop tard, je lui demandais grâce ;
J'employais les soupirs, et même la menace.
Voilà comme, occupé de mon nouvel amour,
Mes yeux sans se fermer ont attendu le jour.
Mais je m'en fais peut-être une trop belle image,
Elle m'est apparue avec trop d'avantage :
Narcisse, qu'en dis-tu ?
NARCISSE. – Quoi, Seigneur ! Croira-t-on
Qu'elle ait pu si longtemps se cacher à Néron ?
NÉRON. – Tu le sais bien, Narcisse. Et soit que sa colère
M'imputât le malheur qui lui ravit son frère,
Soit que son cœur jaloux d'une austère fierté
Enviât à nos yeux sa naissante beauté,
Fidèle à sa douleur, et dans l'ombre enfermée,
Elle se dérobait même à sa renommée ;
Et c'est cette vertu, si nouvelle à la cour,
Dont la persévérance irrite mon amour.
Captivé par.