AQUILIE. – Tarquin maître en ces lieux, vous devra son retour,
Et mon père à ce prix m'accorde à votre amour.
D'abord un tel projet m'avait paru terrible,
Mais l'amour à mes yeux l'a fait voir moins horrible.
Je tremble maintenant, je frissonne d'effroi,
Qu'il ne soit vu de vous autrement que de moi.
Est-ce un crime après tout de remettre à sa place
Un roi, dont les malheurs ont mérité la grâce ?
Si ce parti1, Seigneur, eut blessé l'équité,
Jusqu'au dernier soupir je l'aurais rejeté !
TITUS. – Non, non, Madame, non ; disposez de ma vie,
Ordonnez qu'à l'instant je vous la sacrifie ;
En vous obéissant mon sort sera trop doux.
Mais malgré tout l'amour dont je brûle pour vous,
Je n'achèterai point un objet2 que j'adore,
Par une trahison que tout mon cœur abhorre3. [...]
Car enfin, ce n'est plus l'amour qui vous inspire,
À servir les Tarquins tout votre cœur aspire.
AQUILIE. – Poursuivez, poursuivez, achevez de m'aigrir4.
J'aime cette injustice ; elle peut me guérir. [...]
Vous servez ma raison en outrageant ma flamme,
Dites que je feignis de vous donner mon âme,
Dites que je voulus mendier votre cœur
Pour pouvoir des Tarquins réparer le malheur.
Et que me fait à moi leur retour, leur absence ?
De vous seul occupée avec trop de constance,
L'amour m'avait ôté tout autre sentiment.
Quel soin5 me touche encor en ce triste moment ?
J'ai craint de voir nos cœurs séparés l'un de l'autre,
Quoi donc ! mon intérêt, ingrat, n'est pas le vôtre ?
TITUS. – Madame, pardonnez mon crime à mes douleurs.
Trop faible contre vous, je m'arme de fureurs [...]
Mon esprit contre vous tâche de s'irriter
Mais de cet art cruel je ne puis profiter.
Vous voyez le péril où vous mettez ma gloire6 ;
Madame, par pitié cédez-moi la victoire,
Vos charmes sont trop forts, mon cœur est trop soumis,
N'exigez rien de moi que ce qui m'est permis.
AQUILIE. – Je ne sais point user d'un pouvoir tyrannique,
À votre seul bonheur une amante s'applique,
Seigneur, de votre amour je n'exige plus rien,
Et je prétends ainsi vous marquer tout le mien.