Haïfa est une ville blanche et brillante entourée d'eau bleue. On a l'impression
que la mer est d'un côté mais ensuite elle est de l'autre côté aussi parce que
la ville est bâtie en pente raide sur un promontoire et qu'on peut voir dans tous
les sens. Le soleil tape fort et la rue Hatzvi où les dames nous conduisent en haut
de la colline est complètement bordée d'arbres, c'est une rue tranquille avec plein
d'oiseaux qui chantent. Je ne m'attendais pas à ça, même si je ne sais pas à quoi
je m'attendais ; le soleil filtre à travers les branches des arbres par éclairs, comme
le sens à travers la langue. Tout ça miroite, la langue hébraïque et la rue Hatzvi ;
en fait c'est très beau ici. Les deux dames nous aident à monter les valises dans
notre maison où tout est calme et propre, le moins qu'on puisse dire c'est que
ça ne ressemble pas à la
54e Rue est1. Un mauvais point : pas de télé.
P'pa commence tout de suite la chose la plus importante pour lui, à savoir
les courses : il m'amène avec lui dans un supermarché où les allées sont très
étroites. En arrivant à la caisse on voit des caddies qui font la queue tout seuls,
les gens mettent leur caddie là et vont faire leurs courses très vite, pour ne pas
perdre leur place dans la queue. Je trouve ça surprenant mais p'pa dit qu'on aura
probablement bien d'autres occasions d'être surpris en vivant ici.
Presque tous les habitants de Haïfa sont juifs à part quelques Arabes, sauf
que d'après p'pa on ne doit pas dire Arabes parce que les Arabes peuvent être
n'importe quoi, chrétiens ou juifs ou musulmans, mais m'man dit que ça ne les
empêche pas d'être arabes. Il n'y a pas de Noirs du tout.
[...] Ensuite, avant la chaleur de la mi-journée, on sort se balader dans le
quartier [...]. Assis sur un banc dans le parc rue Panorama, on voit toute la ville
étalée à nos pieds avec la mer Méditerranée qui l'entoure. « Regarde, me dit p'pa.
Là, droit devant nous... Tu vois ce petit bout de terre tout blanc qui dépasse
là-bas, à gauche ? Ça, c'est le Liban. Une guerre y fait rage en
ce moment2.
Reagan
et Begin3 ont envoyé des troupes pour se joindre à la mêlée. Ça s'appelle des
forces de maintien de la paix, parce qu'il faut garder son sens de l'humour. »
On reste un long moment sur le banc, à contempler la mer et les bateaux
dans le port et les collines vertes qui ondulent au loin, tout a l'air tellement calme
qu'on a du mal à croire à cette histoire de guerre.